Ce brutal gonflement des crédits de trésorerie suivi de la croissance de l'endettement des ménages est apparu comme un phénomène à la fois « tiré » par la demande et « poussé » par l'offre.

Les « as du crédit »

À partir de 1980-1981, la désinflation, le ralentissement du rythme de progression du revenu disponible brut, accentué par l'élévation du taux des prélèvements obligatoires, et le passage de taux d'intérêt réels négatifs à des taux réels positifs en raison de la rigidité à la baisse des taux nominaux d'intérêts ont donné aux ménages l'impression que leurs possibilités de consommation baissaient. Estimant, à tort ou à raison, que le ralentissement de l'augmentation des revenus devait cesser dans un avenir plus ou moins proche, beaucoup de ménages n'ont plus cherché à réduire leur consommation ; ils ont réagi comme s'ils reportaient à plus tard la réduction nécessaire de leur niveau de vie. À partir du moment où ils ont décidé que leur consommation devait être maintenue sinon augmentée, les solutions qu'ils pouvaient adopter à cet égard permettent de distinguer deux situations.

Dans la première, certains ménages – en minorité d'ailleurs – ont cherché tout à la fois à ne pas restreindre leur consommation et à préserver leur épargne existante ou leur patrimoine (voire à l'accroître, ce qui est paradoxal). Ces ménages ont mis en œuvre une stratégie financière globale consistant aussi bien à acheter des biens mobiliers et immobiliers, en profitant au maximum des nouvelles formules de crédit proposées par les établissements bancaires et financiers, qu'à opérer des placements dans les nouveaux produits qu'offrait le marché financier.

Ces ménages ont souvent fait preuve d'une compétence, d'une habileté et d'un esprit de calcul incomparables. Par exemple, ils ont su négocier à la fois une baisse du prix du produit et un aménagement favorable des conditions de crédit ; en outre, ils connaissaient presque parfaitement les caractéristiques des différentes formules de crédits ou des nouveaux produits financiers et savaient très bien en jouer. En règle générale, ces ménages – appelés « as du crédit » – se différenciaient par des niveaux de revenus plus élevés que ceux de la moyenne, par une meilleure formation financière et surtout parce qu'ils parvenaient à collecter plus efficacement que d'autres l'information nécessaire.

La seconde situation regroupe trois catégories de ménages. Les premiers ont tenté de compenser le freinage éventuel de la consommation en commençant par puiser dans leurs réserves, c'est-à-dire dans leur épargne existante. À tort ou à raison, ils ont estimé que, un jour ou l'autre, leur revenu disponible progresserait à nouveau. Lorsqu'ils ont constaté qu'ils ne pouvaient plus prélever sur leurs économies (soit parce qu'ils avaient épuisé leurs réserves antérieures, soit parce qu'ils n'entendaient pas descendre au-dessous du chiffre qu'ils s'étaient fixé), ils ont sollicité des crédits de trésorerie pour ne pas avoir à subir une baisse de leur consommation.

La deuxième catégorie se rapproche de la précédente par le fait que, faute d'une épargne suffisante, certains ménages n'ont eu d'autre ressource que celle d'emprunter s'ils voulaient conserver sinon améliorer leur niveau de vie. La troisième catégorie concerne des ménages à hauts revenus qui se sont laissé aller à consommer plus que de raison mais qui estimaient toujours pouvoir se rattraper. Dans ces deux derniers cas, on observe que ces ménages se sont comportés comme si les crédits pouvaient être indéfiniment reconduits et n'ont d'ailleurs pas cherché à en connaître le coût.

Le « crédit-mode de vie »

De toute façon, quelle que soit leur catégorie, les ménages ont maintenant changé de comportement financier parce qu'ils n'hésitent plus à recourir à l'emprunt pour financer leurs dépenses les plus courantes. Selon le rapport déposé en juillet 1989 par le groupe de travail sur l'endettement et sur le surendettement des ménages (du Secrétariat d'État à la consommation), les enquêtes révèlent l'apparition d'un « crédit-mode de vie » auquel ont recours de plus en plus de ménages, quels que soient leurs revenus. Celui-ci est destiné à financer sur une base renouvelable certaines dépenses liées au superflu.