La vie à crédit

La forte augmentation de l'endettement des ménages traduit un nouveau comportement : le crédit-mode de vie. Mais le piège se referme sur beaucoup, et il n'est pas certain que les mesures envisagées suffisent pour protéger tous les « crédivores ».

Selon les statistiques de la Banque de France, l'encours des crédits distribués aux ménages (crédit à l'habitat et crédits de trésorerie ou à la consommation) avait atteint 1 941,1 milliards de francs à la fin de l'année 1988, alors qu'il ne représentait « que » 1 749,1 milliards un an plus tôt.

L'endettement global

Dans cette augmentation de 10,9 %, qui s'ajoute à celles des années précédentes (14,3 % en 1987, 11,7 % en 1986 et 10,9 % en 1985), les crédits immobiliers comptent pour les deux tiers environ. Le taux d'endettement global des ménages (encours en fin d'année/revenu disponible brut) a été porté de 29 % en 1970 à 38,8 % en 1981, à 41,2 % fin 1985, à 43,7 % fin 1986 pour atteindre 48,1 % fin 1987 et 50,1 % fin 1988. Les ménages français ont contracté des dettes qui représentent aujourd'hui plus de la moitié de leur revenu annuel disponible. À titre de comparaison, à la fin des années 1950, leur taux d'endettement correspondait à moins de deux semaines de revenu.

Par rapport aux pays étrangers, cette croissance apparaît toutefois modérée. Pour un encours des crédits de trésorerie aux particuliers de 6,7 % en 1987, en France (en pourcentage du revenu disponible brut), ce chiffre a atteint 13,3 % au Royaume-Uni, 15,5 % en Allemagne fédérale et 23,7 % aux États-Unis (d'où la vague est partie). De même, si l'encours des crédits est rapporté au nombre d'habitants, il est 2,5 fois moins élevé en France qu'en Grande-Bretagne et 4 fois moins qu'aux États-Unis. Enfin, le niveau de l'endettement global de ses ménages classe la France au rang des pays intermédiaires qui, comme la République fédérale d'Allemagne ou les Pays-Bas, se caractérisent par un taux global de l'ordre de 30 % du produit intérieur brut. Avec un taux supérieur à 60 %, les États-Unis et la Grande-Bretagne occupent le rang le plus élevé et, au contraire, l'Italie et le Japon, avec un endettement global de l'ordre de 10 %, tiennent le rang le plus bas.

Le recul du crédit à la consommation

Pendant longtemps, l'endettement des ménages a résulté essentiellement du recours à deux sortes de crédits : le crédit immobilier et le crédit à la consommation.

Dès la fin de la guerre, les ménages ont été habitués, voire encouragés à souscrire un crédit pour l'acquisition d'un logement. En demandant qu'on leur accorde un crédit à l'habitat, les particuliers sollicitaient fréquemment en même temps des crédits à la consommation pour financer l'achat de biens durables. Avant d'habiter leur pavillon de banlieue (par exemple), les ménages, souvent modestes, ne manquaient pas d'acquérir des meubles et des appareils électroménagers, c'est-à-dire de procéder à ce qui était appelé des achats à tempérament.

Progressivement, cette demande de crédits à la consommation a baissé, et ce mouvement s'est répercuté sur le chiffre d'affaires des établissements spécialisés dans la vente à tempérament. Ainsi, des banques spécialisées (comme Cetelem, ou Sofinco) ou des sociétés financières (comme Creg et Diac) ont vu leur part diminuer de 32 % à 27 % en dix ans, en raison de l'effondrement des ventes à tempérament.

Cette baisse s'explique surtout par l'envol des crédits de trésorerie. Dans un premier temps, c'est l'autorisation des prêts personnels en 1972 (grâce auxquels les particuliers purent disposer d'un crédit non affecté à l'achat d'un bien précis) qui entraîna une hausse rapide du rapport entre crédits distribués et revenu disponible. Le ratio baissa en 1973 et en 1974, lorsqu'un encadrement sévère du crédit fut mis en place avec un plafond spécifique de l'encours des prêts personnels dont la croissance rapide avait été jugée inflationniste par la Banque de France.

De 1975 à 1985, ce ratio ne varia guère. Puis, soudain, après 1985, il s'envola avec la diffusion des crédits de trésorerie aux particuliers qui permettaient de financer en permanence et presque sans limite les achats de biens de toutes sortes : le rapport des crédits de trésorerie au revenu disponible brut s'éleva de 2,9 % en 1981 à 7,7 % environ en 1988, avec un taux de croissance qui passa de 6 % en 1980 à 21,3 % en 1985, puis à 39 % en 1986, à 33 % en 1987 et à 22 % en 1988.