En revanche, la question du « rééquilibrage » du paysage politique reste posée. L'automne social, particulièrement agité et émaillé, dans le secteur public, de grèves, fortement soutenues par la CGT, a montré, en fait, la détermination du PCF à réduire l'influence des socialistes et à les laisser gouverner seuls, tandis que les centristes tardent à conquérir leur totale autonomie en se détachant du « bloc » RPR-UDF. Dans ces conditions, le gouvernement pourra-t-il tenir longtemps dans sa gestion quotidienne, armé de sa seule « majorité relative » ? Il ne peut en tout cas prétendre affronter seul l'échéance de 1993. Personne ne peut dire qui gagnera la nouvelle épreuve de vérité engagée entre communistes et socialistes. Mais chacun a bien senti, en cette fin d'année, que se profile déjà à l'horizon la délicate question des conditions politiques de la construction européenne. On ne peut faire de l'échéance de 1993 la « grande affaire » du second septennat et ne pas voir qu'il y faudra, à tout le moins, une « France unie ». Or, le PCF n'a jamais été européen, et se préoccupe bien davantage de constituer autour de lui, sur ce sujet comme sur d'autres, un « front du refus ». Dans ces conditions, M. Mitterrand devrait chercher à isoler le PC et le RPR et à se rapprocher du centre.

La difficulté, pour un président et un gouvernement « socialistes », c'est évidemment de convaincre leur propre électorat que le salut du pays passe par l'achèvement d'une Europe conservatrice et libérale. Car, hormis l'Espagne et la France, les gouvernements des pays membres sont conservateurs et libéraux. Et parmi ces derniers figure celui de Mme Margaret Thatcher, qui est incontestablement l'obstacle le plus prévisible et le plus difficile à surmonter pour un président qui veut attacher son nom à la réalisation du grand marché unique européen, le 1er janvier 1993. Le dernier conseil européen de l'année 1988 (qui réunit les chefs d'État et de gouvernement des douze pays de la Communauté) à Rhodes a illustré cette difficulté.

Mme Thatcher a en effet empêché toute expression européenne sur la question du Proche-Orient. François Mitterrand avait, au contraire, souhaité que l'Europe fasse un pas en avant, pour encourager l'OLP de Yasser Arafat à persévérer. Celui-ci venait en effet, après la réunion de son Conseil national à Alger et la proclamation d'un État palestinien, de reconnaître implicitement l'existence de l'État d'Israël, reconnaissance qui devait devenir explicite quelques jours plus tard à Stockholm. L'un des objectifs de la diplomatie occidentale venait d'être atteint, et le chef de l'État français avait à cœur de ne pas laisser passer l'occasion.

Cette expérience diplomatique négative – due à la volonté britannique de coller aux positions intransigeantes du Premier ministre israélien Itzak Shamir, vainqueur des législatives en Israël – est en fait apparue comme un révélateur des difficultés attendues sur deux autres grands dossiers : l'Europe sociale, thème cher au président de la Commission européenne, Jacques Delors, et l'Europe fiscale, la réalisation dès juillet 1990 d'un marché unique des capitaux impliquant une harmonisation des fiscalités sur les revenus (moins forte en France que chez ses partenaires) et sur l'épargne (plus forte en France que chez les autres).

Pour contourner l'obstacle Thatcher, à défaut de l'enfoncer, puisqu'elle dispose, de fait, d'un pouvoir de veto, François Mitterrand mise bien sûr sur la bonne santé de l'axe franco-allemand, symbolisée par la qualité de sa relation personnelle avec le chancelier Helmut Kohl. Mais il mise également sur un axe Paris-Madrid : l'Espagne et la France, dotées toutes deux d'un gouvernement socialiste, vont en effet, successivement, pour une période de six mois chacune, occuper la présidence européenne. Cela donne aux deux pays un an pour agir, s'ils savent coordonner leurs efforts. Cette recherche d'un noyau dur européen à trois – Mitterrand-Kohl-Gonzales – permettra, s'il voit le jour, une cohérence plus grande et une meilleure efficacité.