Panorama

Introduction

Après le krach boursier d'octobre 1987, les experts avaient prédit la récession. Non seulement elle n'a pas eu lieu, mais, au contraire, l'année 1988 se caractérise par une accélération de la croissance dans le monde. La plupart des pays industriels ont révisé en hausse leurs prévisions et, en moyenne, leur croissance dépasse 4 %, contre 3 % l'année précédente. Cette bonne conjoncture s'accompagne de fortes créations d'emplois, permettant un recul du chômage – même si celui-ci reste encore élevé en Europe –, et d'une reprise du commerce international dont profitent également les pays sous-développés.

À la crainte d'une récession, succède en revanche celle d'une surchauffe de l'économie, particulièrement aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Les signes d'une inflation renaissante se multiplient : poussée du cours des matières premières, hausse des prix de détail, tension sur les salaires. Mais l'emballement n'a pas lieu, et la hausse des prix dans les pays industrialisés avoisine les 4 % (après 3,2 % en 1987).

La tentation de l'euphorie

Des raisons tant conjoncturelles que structurelles expliquent cette embellie.

D'un point de vue conjoncturel, plusieurs facteurs ont limité les effets attendus du krach. D'abord, les dirigeants des grands pays industriels, qui se remémorent la crise de 1929, ont agi pour éviter le pire : ils ont favorisé l'injection massive de liquidités dans l'économie (alimentant d'ailleurs le risque inflationniste) et ont renforcé leur coordination, deux actions qui ont contribué à entretenir la confiance des agents économiques privés. Ensuite, l'effet de patrimoine (ou de richesse) tant redouté – face à d'importantes pertes en Bourse, les agents sont amenés à épargner plus et donc à dépenser moins afin de reconstituer leur patrimoine – n'a pas joué, et la consommation intérieure dans la plupart des pays riches n'a pas le moins du monde fléchi, bien au contraire. Enfin, le contre-choc pétrolier, qui dure depuis 1986, a eu des effets bénéfiques sur la croissance de l'économie mondiale (sauf bien sûr pour les pays producteurs de pétrole) ; l'OPEP, effectivement, n'a pas réussi à enrayer la chute du prix du baril de pétrole, et celui-ci, à 18 dollars au début de l'année, est tombé à 12 dollars, pour retrouver en fin d'année un niveau de 15 dollars à la suite d'un accord.

D'un point de vue structurel, les politiques d'assainissement menées depuis quelques années sous l'impulsion du néolibéralisme semblent en passe de porter leurs fruits. L'entreprise, réhabilitée, a vu sa situation financière se redresser. Grâce à leurs profits – et grâce aussi aux bonnes perspectives de demande –, les sociétés investissent à nouveau fortement. Ce boom des investissements concerne tous les pays industriels, mais il reste plus marqué au Japon et aux États-Unis qu'en Europe. Toutefois, dans un contexte de revalorisation de l'économie de marché, la concurrence se fait plus vive, et, dans la course à la compétitivité et à la rentabilité, les entreprises se livrent entre elles une lutte sans merci, comme en témoigne la guerre des « Trois » déclarée dans le secteur automobile. Dans cette optique également, elles ne cessent de se restructurer et de rechercher par la croissance externe à obtenir la taille optimale et mondiale, d'où la vague actuelle d'OPA (la plus spectaculaire des multiples formes de concentration). Dans ce domaine, les États-Unis sont en avance, mais l'Europe s'y met en vue du marché unique de 1993. Les entreprises se portent donc bien. La tentation de l'euphorie est grande, et certains n'hésitent pas à clamer que la crise est finie... C'est oublier combien l'environnement reste encore fragile.

Des déséquilibres encore trop élevés

Deux types de problèmes subsistent en effet. Le premier concerne les déséquilibres de l'économie mondiale, mis sans cesse en évidence depuis quelques années ; en se concertant, les gouvernements des sept pays les plus industrialisés cherchent à y remédier, sans pour autant y parvenir. Même s'ils ont relativement baissé cette année – du moins au premier semestre –, ces déséquilibres restent encore trop élevés. C'est le Japon qui a su le mieux répondre à l'attente internationale en cherchant à diminuer ses excédents commerciaux grâce à un recentrage de son économie sur la demande intérieure. L'effort a été moindre de la part de l'Allemagne fédérale, qui, en refusant tout laxisme monétaire et budgétaire, n'a procédé qu'à une relance limitée. Sa balance commerciale reste fortement positive, et cette situation est d'autant plus préoccupante que l'écart avec les autres pays d'Europe se creuse, avec les déficits particulièrement élevés de la Grande-Bretagne, de la France, de l'Espagne et de l'Italie. Dernier groupe de pays à fort excédent, les quatre dragons d'Asie inquiètent de plus en plus la communauté internationale qui ne manque pas une occasion de leur rappeler la nécessité de s'impliquer mieux dans la coordination internationale.