Pour le dire autrement, il y a dans le pathos indo-européen entretenu par la religion sportive quelque chose dont les nostalgiques du fascisme n'ont pas le monopole. Ce privilège implicitement donné à l'une des racines de notre civilisation marque une infirmité à assumer l'ensemble de l'héritage occidental.

De flamme en flamme

Infirmité dangereuse : les muscles pensés ont précédé les pensées musclées, et le pseudo-helléniste Coubertin annonce celui qui allait passer pour « le plus grand philosophe de notre temps », Heidegger, pour qui, justement, la source même de la pensée occidentale, pour ainsi dire son « alphabet », se trouve dans la langue grecque. Les accointances avec le nazisme de l'auteur de l'Être et le Temps, contemporaines des compromissions du mouvement olympique avec l'Allemagne hitlérienne, ne surprennent que les naïfs ou les hypocrites. Le Heidegger des stades et le Coubertin des maîtres-penseurs ont ceci en commun que leur prophétie est a-sémitique. Leur emblème à tous deux est cette flamme dont on a encore célébré le rite solaire, cet été, d'Olympie à Séoul, et qui a été allumée pour la première fois, faut-il le rappeler, pour les J.O. de Berlin en 1936.

Ici la petite histoire rejoint la grande, même la plus tragique. Sur le site antique de l'hellénisme sportif, j'ai rencontré Maria Hors, l'actuelle chorégraphe du rituel olympique. Enfant, m'a-t-elle raconté, elle avait assisté à la cérémonie d'Olympie inspirée par les hitlériens. Elle s'en souvenait avec d'autant plus de précision que la « grande prêtresse » de Zeus qui officiait pour la première fois, en 1936, n'était autre que son professeur de danse. Ainsi, à un demi-siècle de distance, une tradition orale s'est transmise au travers du grand chambardement et des horreurs de la Seconde Guerre mondiale...

Heureusement, l'histoire ne bégaie pas toujours. Surtout si les peuples n'ont pas la mémoire courte. Raison de plus pour dire et répéter combien est risquée la manipulation industrielle des corps et des âmes à laquelle donne lieu le culte du sport.

Philippe Simonnot
Philippe Simonnot, docteur ès sciences économiques et diplômé de l'Institut d'études politiques, est actuellement chef du service Économie de l'hebdomadaire Politis. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages, dont le Sexe et l'économie ou la Monnaie des sentiments (Lattès, 1985) et Homo sportivus (Gallimard, 1988).