Apparemment, les États-Unis tiennent compte des préoccupations soviétiques en demandant aux chefs de la résistance d'éviter d'attaquer les troupes soviétiques sur le chemin du retour. Mais ces pressions se heurtent à de sérieux obstacles. En particulier, on l'a vu, les chefs politiques de la résistance installés à Peshawar ont une influence limitée sur les commandants à l'œuvre sur le terrain. La résistance est non seulement divisée mais peu structurée. La direction de l'alliance, qui regroupe les sept principaux mouvements de résistance, assure la présidence tournante tous les trois mois. Il s'agit d'une organisation sunnite, au sein de laquelle les chiites – 20 % de la population afghane – ne sont pas représentés.

Un vice-ministre soviétique à Kaboul

La menace que le départ des Soviétiques fait peser sur l'État que préside Mohamed Najibullah n'a pas fait taire les luttes au sein du PDPA, le parti communiste afghan, au pouvoir à Kaboul. Deux factions principales s'opposent, parchamis et « khalqistes ». Les premiers passent pour plus favorables que les seconds à des ouvertures politiques en direction de la résistance ; en outre, au fil des mois, le Premier ministre, Mohamed Hassan Sharq, qui n'est pas membre du PDPA, semble de plus en plus influent et, en tout cas, prend davantage de liberté à l'égard de Najibullah. Les quelques milliers de combattants organisés autour du Khad semblent toujours une troupe solide, mais de nombreuses désertions ont lieu dans les rangs de milices moins sûres dont les chefs, dans plusieurs cas, négocient leur ralliement avec des mouvements de résistance.

Mais les Soviétiques, tout en tentant de prévenir le pire, font tout pour que leur retrait militaire soit mené à son terme. En octobre, pour contrôler une opération de plus en plus complexe, Iouli Vorontsov, numéro deux de la diplomatie soviétique, est nommé ambassadeur à Kaboul tout en conservant ses fonctions de premier vice-ministre des Affaires étrangères.

Parallèlement, l'URSS annonce qu'elle entend contribuer – pour un montant de 400 millions de roubles (600 millions de dollars) – au programme mis sur pied par l'ONU pour réinstaller les réfugiés afghans. Ce programme n'a pas pu s'amorcer en raison de la poursuite des combats un peu partout sur le territoire. La grande masse des réfugiés est demeurée en Iran et au Pakistan en attendant que les conditions de sécurité et de survie soient assurées. Mais le geste soviétique souligne apparemment une volonté de calmer le jeu.

En effet, après un temps d'hésitation au début de l'automne, les Soviétiques semblent désireux de multiplier les contacts avec les dirigeants de la résistance pour voir si « une solution interne est concevable ». Dans la même ligne, les appels de Najibullah à la « réconciliation nationale » prennent un ton nouveau. Le président afghan relance même l'idée d'une démilitarisation de l'Afghanistan et celle de la réunion – sous l'égide de l'ONU – d'une conférence internationale chargée de définir le statut neutre du pays.

Ainsi, la politique soviétique semble avoir une double ambition. Dans l'immédiat, assurer la survie du régime de Kaboul et le retrait, avec le minimum de pertes, de l'Armée rouge ; à plus long terme, créer les conditions d'une neutralité de l'Afghanistan, quel que soit son régime interne. S'étant montrée « raisonnable » en mettant un terme à son intervention militaire, l'URSS espère qu'en retour les Afghans les plus modérés accepteront quelques compromis. C'est ce qui explique les offres faites à l'ancien roi Zaher Chah, exilé à Rome, de jouer un rôle politique ou celles de participer à la reconstruction du pays.

À la fin de 1988, la situation est cependant loin d'être claire. Le moment semble encore beaucoup plus celui de l'épreuve de force que celui du dialogue, même si ce dernier a été amorcé par des échanges de prisonniers.

On semble s'orienter vers l'amorce de la deuxième et dernière phase du retrait soviétique, qui doit prendre fin le 15 février 1989. Mais rien n'indique encore qu'un cessez-le-feu soit concevable. Il est même possible que les combats redoublent d'intensité. En outre, une période de partition déguisée du pays ne peut être exclue, les éléments prosoviétiques conservant le contrôle de la grande plaine frontalière de l'URSS. La paix ne paraît donc toujours pas à portée de main.

Jean-Claude Pomonti
Jean-Claude Pomonti a été correspondant particulier du Monde au Viêt-nam, en Thaïlande et en Afrique orientale. Il est chef adjoint du service de politique étrangère de ce journal, chargé des pays asiatiques.