L'organisation de la résistance est, beaucoup plus que le régime de Kaboul, le reflet de la structure traditionnelle de la société afghane. Dans sa lutte contre l'« infidèle », chaque tribu, chaque région et, parfois même, chaque vallée lève ses moudjahiddines et se trouve des chefs. Les leaders politiques se réfugient à Peshawar, capitale du Nord-Ouest pakistanais, à deux pas de la passe de Khyber, franchie par le principal axe routier entre Kaboul et Islamabad. Hommes, armes et munitions passent sur les hauts cols de cette frontière. Chaque mouvement dispose d'une antenne à Peshawar, et parfois même d'un véritable quartier général. Ces états-majors organisent le transit du ravitaillement à destination de l'intérieur.

Mais les communications restent longtemps difficiles ; l'aviation et les commandos soviétiques mènent la vie dure aux groupes de résistants qui font la navette entre le Pakistan et l'intérieur. Il faut attendre que les principaux mouvements de résistance soient équipés des très efficaces missiles sol-air américains, britanniques et chinois en 1986, pour que les communications entre la résistance à l'intérieur et ses bases arrière au Pakistan deviennent moins difficiles. Entre-temps, les commandants ont pris une influence considérable et conquis une grande autonomie sur le terrain.

A posteriori, Moscou a justifié son intervention militaire en évoquant une « guerre non déclarée que les mercenaires entraînés par les impérialistes et les hégémonistes menaient contre le gouvernement légitime » de Kaboul. Cette version tronquée de l'histoire a servi de prétexte à la multiplication des raids aériens de forces soviétiques et de Kaboul sur les régions pakistanaises frontalières de l'Afghanistan, où sont concentrés réfugiés et camps d'entraînement de la guérilla. Parallèlement, la police secrète communiste (le Khad, version afghane du KGB) a multiplié les attentats en territoire pakistanais, le plus souvent contre les états-majors de la résistance.

Mais tous ces efforts, de la part de Moscou, n'ont pas donné les fruits escomptés. Les divisions de la résistance soulignent des antagonismes séculaires et se traduisent, parfois, par des affrontements sur le terrain. Mais, en 1988, cela n'empêche pas, dans la foulée des premiers retraits soviétiques, les principaux mouvements de résistance de coopérer, quand il le faut, pour isoler les villes évacuées par les Soviétiques, couper des routes et bombarder régulièrement, à la roquette, la capitale.

Le quart du territoire

On estime, en général, qu'en octobre 1988 les autorités de Kaboul ne contrôlent que le quart du territoire afghan. Il s'agit, principalement, de la zone septentrionale du pays. Les Soviétiques ont alors pratiquement évacué l'est et le sud frontaliers du Pakistan, et une bonne partie de l'ouest, que borde l'Iran. Pour l'essentiel, les mouvements de résistance ont opté pour la tactique du grignotage de ces régions dans lesquelles les Soviétiques ne peuvent plus intervenir qu'avec des commandos d'élite basés en URSS, sur la frontière afghane, et qu'en effectuant des bombardements aériens. Ainsi, à la fin du même mois d'octobre, pour briser une fois de plus le siège de Kandahar, la grande ville du Sud, les Soviétiques auraient fait intervenir leurs chasseurs-bombardiers les plus sophistiqués, les Mig-27.

Toutefois, depuis le début du retrait des troupes, les opérations militaires ont un caractère avant tout défensif. Il s'agit d'éviter qu'une nasse ne se referme sur un contingent militaire plus vulnérable parce que moins nombreux. Il s'agit aussi de décourager toute débandade dans les rangs du régime de Kaboul.

Dans le long terme, les divisions au sein de la résistance peuvent favoriser le jeu soviétique, l'Afghanistan étant condamné, quoi qu'il advienne, à cohabiter avec son puissant voisin. Mais, dans l'immédiat, le renversement des autorités communistes de Kaboul demeure le principal ciment de la guerre sainte menée par les divers groupes. En adressant des mises en garde et de « sérieux avertissements » à Islamabad et à Washington, Moscou entend avant tout limiter les dégâts. Il ne s'agit pas d'une mise en cause de l'accord de Genève, mais d'obtenir des pourvoyeurs en armes de la résistance qu'ils tempèrent les ardeurs de leurs protégés.