Les élections en France

L'élection à la présidence de M. François Mitterrand a marqué le succès d'un usage subtil de la cohabitation, renforcé par le gonflement du Front national. Succès personnel, que les élections législatives n'ont qu'en partie confirmé. L'abstention croissante a souligné le décalage entre les Français et la classe politique.

Aux urnes, citoyens ! Jamais cette invitation pressante à remplir leur devoir électoral n'avait retenti aussi souvent aux oreilles des Français depuis le référendum du 28 septembre 1958 qui fonda la Ve République.

Ils y répondirent avec un enthousiasme décroissant à en juger le nombre des abstentions, qui, de scrutin en scrutin, quadrupla pratiquement entre le 8 mai (15,94 %) et le 6 novembre 1988 (62,96 %). Il est vrai que l'intérêt que portaient les électeurs à l'avenir de la lointaine Nouvelle-Calédonie n'était pas de même nature que celui qu'ils accordaient à la désignation d'un président de la République dont dépendait, pour une bonne part, leur avenir immédiat. Il est vrai, aussi, que seules les nécessités, fort discutées d'ailleurs, de la conjoncture politique avaient incité le pouvoir en place à ajouter des consultations législatives (à deux tours) et référendaires aux échéances présidentielles et cantonales.

À s'en tenir à la stricte lecture des textes officiels, la campagne pour la désignation du nouveau chef de l'État ne débuta que le lundi 11 avril 1988. À en croire les déclarations d'intention des compétiteurs eux-mêmes, elle avait été lancée dès le printemps 1987, lorsque Jean-Marie Le Pen, pour le Front national, et André Lajoinie, pour le PCF, avaient annoncé successivement le 26 avril et le 18 mai leur décision de participer personnellement à la bataille présidentielle.

Et, pourtant, c'est un an plus tôt, très exactement le 20 mars 1986, que les deux principaux protagonistes, François Mitterrand et Jacques Chirac, avaient engagé le fer sous le couvert feutré de la « cohabitation ».

Duel au sommet

Depuis le 17 janvier 1982, les Français avaient accordé un soutien électoral sans faille à l'union de l'opposition RPR-UDF. Pouvaient-ils dès lors le refuser à celui qui entendait tenir les « 20 engagements fondamentaux » de la « plate-forme pour gouverner ensemble » du 16 janvier 1986 ? Nonobstant tous les obstacles que le chef de l'État et le PS opposaient à la mise en œuvre de sa politique, le Premier ministre, avec l'appui d'une majorité étroite mais soudée, ne contraignait-il pas le chef de l'État à promulguer finalement les lois qui disloquaient le « socle du changement » édifié en 1981-1982 : amnistie fiscale, suppression de l'impôt sur les grandes fortunes, diminution de l'impôt sur les revenus, privatisation des entreprises nationalisées, suppression de l'autorisation administrative de licenciement ? En gouvernant, Jacques Chirac ne prouvait-il pas son aptitude à gouverner et donc à exercer la plus haute charge de l'État ? En rapatriant 16 milliards de francs entre le 12 juillet 1986 et le 31 janvier 1987, en achetant massivement les actions des sociétés privatisées à partir du 24 novembre 1986, en apportant majoritairement leurs suffrages aux candidats de la nouvelle majorité lors des élections partielles ou locales organisées à partir du 23 août 1986, les citoyens paraissaient exprimer au chef du gouvernement une confiance qu'ils avaient continûment refusée à ses prédécesseurs socialistes de 1982 à 1986. Elle paraissait naturellement porteuse d'espérances présidentielles, mais, paradoxalement, les sondages d'opinion révélaient un constant redressement de la cote de popularité de François Mitterrand.

Rares étaient ceux qui avaient compris que celui-ci avait, de longue date, doublement piégé une victoire de l'opposition RPR-UDF aux élections législatives de 1986 pour mieux assurer la sienne aux présidentielles de 1988. La loi du 11 juillet 198S rétablissant le scrutin de liste départemental à la proportionnelle empêchait ses adversaires politiques d'obtenir la majorité absolue à l'Assemblée nationale ou, à tout le moins, les affaiblissait par le surgissement du Front national, qu'ils ne pouvaient ni combattre, sous peine de s'interdire l'accès au pouvoir, ni soutenir, sans risquer d'être frappés d'infamie pour collusion avec des forces dites fascisantes. Plus subtilement encore, la décision anticipatrice du président de la République d'exercer son mandat jusqu'à son terme constitutionnel en mai 1988 – et cela, quels que fussent les aléas électoraux – plaçait les chefs de l'opposition victorieuse devant un cruel dilemme : soit tenter un coup d'État larvé en refusant le pouvoir des mains de François Mitterrand pour le contraindre à se démettre de sa charge (c'était la solution de Raymond Barre), soit accepter les fonctions de Premier ministre des mains du chef de l'État (c'était la solution de Valéry Giscard d'Estaing et de Jacques Chirac).

Les aléas d'une campagne électorale

Le handicap était lourd. Jacques Chirac tenta pourtant d'en annuler les effets en imprimant, nous l'avons vu, à son action politique une allure rapide et surtout en obtenant de son ministre de l'Intérieur, Charles Pasqua, que des succès soient remportés dans l'un des rares domaines où l'intervention discrètement retardatrice du chef de l'État ne pouvait s'exercer : celui de la sécurité, dont le rétablissement était demandé à grands cris par de nombreux secteurs de l'opinion publique. La police parvint à diminuer la délinquance quotidienne et, surtout, à décapiter, entre le 21 février 1987 et le 20 février 1988, les principales organisations terroristes nationales et (ou) internationales. Le Premier ministre put même porter à son crédit la liquidation de problèmes réputés insolubles : libération « in extremis » de leurs geôles proche-orientales, entre le 12 novembre 1986 et le 5 mai 1988, de tous les otages français au Levant ; rétablissement « de facto » de la paix au Tchad entre le 2 janvier et le 8 août 1987 ; rapatriement en métropole, le 11 décembre 1987 et le 6 mai 1988, des deux agents français impliqués dans l'affaire du Rainbow Warrior ; libération par la force des 23 otages d'Ouvéa dans la nuit du 4 au 5 mai. Rien n'y fit. Seul des neuf candidats déclarés à être en charge de l'action politique, le Premier ministre était seul à subir les critiques convergentes de ses huit rivaux.