Si l'on met à part les cathédrales, d'entrée gratuite et pas seulement touristique, et Versailles, à la fois monument et grand musée national, c'est le Mont-Saint-Michel qui remporte la palme avec 575 000 entrées annuelles, suivi de Chambord, avec 550 000, pour le secteur public. Car, du côté privé, Chénonceaux « fait » 850 000 visiteurs par an ! Et si le château de Vincennes, d'État et aux portes de Paris, n'attire pas 50 000 visiteurs par an, six monuments privés dépassent, parfois très largement, le cap des 100 000 : Amboise, Thoiry, Vaux-le-Vicomte, Villandry, le Clos-Lucé et Valençay. Huit autres monuments privés dépassent le chiffre de 50 000 entrées (pour autant, le score des monuments français demeure trois fois moindre que celui des britanniques). Et, le 18 septembre 1988, la journée « Portes ouvertes dans les monuments historiques » proposait un éventail de 6 996 édifices, dont une bonne part exceptionnellement ouverte.

Reste qu'il n'est pas si facile d'attirer les visiteurs dans un monument. Au château de Versailles, à la cathédrale de Chartres, le problème ne se pose pas. Ce sont des hauts lieux de l'histoire, connus de tous, qui à eux seuls peuvent motiver un voyage. Mais pour des sites isolés des grands circuits ? Là encore l'idée est venue du privé. L'union faisant la force, des propriétaires ont joint leurs efforts pour proposer des itinéraires touristiques reliant leurs monuments, concrétisés par une signalisation et par des dépliants largement diffusés. Ce furent les « routes de beauté », lancées sous l'égide de la Demeure historique. La première née, la route Jacques-Cœur, venait désenclaver le Berry. Une cinquantaine d'autres ont suivi, mêlant bientôt monuments privés et publics, avec l'aide de la Caisse nationale des monuments historiques. Aujourd'hui, leur appellation a changé, on les nomme « routes de l'histoire » ; elles sillonnent toute la France, ou presque.

Tout pouvoir, que choisir ?

Les premiers « Entretiens du patrimoine » ont eu lieu les 13, 14 et 15 octobre 1988 au château de Fontainebleau. Ils étaient consacrés à la conservation de l'ornementation sculptée en pierre dans les monuments historiques Des spécialistes français, anglais, italiens ou allemands ont traité quatre thèmes : conservation in situ, copie, reconstitution, création. L'on vit ainsi comment, à l'issue d'un minutieux nettoyage du portail sud de Notre-Dame d'Étampes, contemporain du portail royal de Chartres est apparue une polychromie d'origine, étonnamment préservée, et qu'il s'est agi dès lors de conserver par un traitement chimique fort complexe ; comment, sur la cathédrale de Reims où les statues fondent sous l'action conjuguée de l'érosion naturelle et de la pollution, le restaurateur Michel Bourbon s'est attaché à intégrer les techniques les plus sophistiquées de moulage dans la gamme des interventions qui constituent le processus de la restauration ; comment sont reconstituées des parties démantelées du château de Gaillon.

La science et les technologies avancées permettent de faire des merveilles, tant dans l'analyse des problèmes que dans leur solution. On sait ôter la crasse des siècles sans attaquer la pierre qu'elle recouvre (par micro-sablage à la bille d'alumine, par exemple), consolider une statue de grès tout en la laissant respirer, par imprégnation d'une solution en concentration de Paraloïd B 72 (polymère acrylique) et de DriFilm 104 (méthylpolysiloxane), qui forme une fine pellicule autour des grains de pierre et revêt comme un film les pores sans les obstruer. Mais, faut-il maintenir sur une cathédrale des sculptures qui se désagrègent peu à peu ? Ou faut-il mettre les originaux à l'abri de la pollution, dans des musées et les remplacer par des moulages ou des copies ? Si l'on choisit de les maintenir en place, mais en les consolidant par des procédés chimiques, à l'effet assez bref, est-on prêt à reprendre régulièrement les traitements ? Et en a-t-on les moyens ? Quand un monument a été dénaturé au fil des temps et qu'on en connaît, historiquement, l'aspect originel, dans quelle mesure faut-il gommer les effets de la vie, et retrouver ce premier état ? Faut-il reconstituer un monument démembré quand on en possède d'importants fragments quitte à réinventer ce qui manque ?

Vivre pour exister

Ces monuments, on les visite pour leur architecture, pour leur histoire, pour leur mobilier. Des attraits permanents. Mais on y trouve aussi de plus en plus de manifestations temporaires. Un calendrier, publié cet été en commun par les revues la Demeure historique et les Vieilles Maisons françaises en recensait près de 400, rien que pour les monuments privés ! Et encore ne prétendait-il pas à l'exhaustivité. Concerts, expositions, théâtre, concours hippiques, expositions horticoles, sons et lumières, conférences, folklore, fêtes costumées, reconstitutions historiques, l'éventail est large des solutions retenues pour animer temporairement les monuments. Il en est d'autres, permanentes. Restaurer un édifice pour la simple satisfaction de le maintenir en l'état peut à la limite s'assimiler à de l'acharnement thérapeutique. Ce qu'il faut aux monuments que l'on préserve, c'est les assimiler au mieux au temps présent, les faire vivre. C'est le cas lorsqu'ils sont habités, ou toujours utilisés pour ce pourquoi ils furent conçus – monuments cultuels, par exemple –, lorsqu'ils sont visités, pour eux-mêmes, pour les expositions qu'ils présentent, ou parce qu'ils ont été transformés en musées. Souvent, de grands monuments, privés de leur affectation d'origine, en ont reçu une autre au cours des temps.