Urgence encore en matière d'archéologie : les sites se comptent par centaines de milliers, mais 40 000 seulement ont été plus ou moins prospectés. La loi envisage particulièrement le cas des sites urbains ; mais les archives du patrimoine sont également prises en compte, de même que la transmission des savoirs techniques traditionnels. Dernière priorité, enfin, l'aide aux entreprises. Celles-ci, qui restaurent le patrimoine, sont en effet très menacées, notamment par l'irrégularité des marchés, la complexité des rapports avec l'Administration, l'obligation de conjuguer tradition et modernisation.

Pour ces sept priorités, et pour tous les problèmes que pose ordinairement le patrimoine, le ministère de la Culture, aux termes de la loi, dispose d'au moins 5,14 milliards de francs, sur cinq ans. On a vu que, pour 1989, une « rallonge » viendra confirmer « l'option patrimoine » ; en outre, la loi du 5 janvier 1988 comporte un petit article qui a fait beaucoup parler de lui : l'article 5. Que dit-il ? En substance, que les monuments historiques classés ou inscrits, et ouverts au public, seront exonérés des droits de mutation, de même que les meubles et les objets d'art qui y demeurent attachés, et ce, dans le cadre de conventions passées entre les propriétaires privés et l'État. Une petite révolution. Car, pour obtenir cela, il a fallu vaincre de multiples réticences, dont celle du ministère des Finances, qui ne fut pas la moindre.

Ah, quel bonheur d'être châtelain !...

Être « châtelain » de nos jours est plus une charge qu'un privilège. L'entretien d'un château, d'un manoir ou d'une abbaye demande des soins et des investissements constants. La charge fiscale demeure assez lourde, les ressources propres traditionnelles (fermages) ont souvent disparu avec les terres, le personnel nécessaire se paie aujourd'hui très cher. Privez-vous de vacances lointaines, consacrez tout votre temps et votre argent à votre monument, l'on trouvera cela tout simplement normal. Un dû à la France. Soyez défaillant, et l'opinion publique, extrêmement sensibilisée, aura tôt fait de crier au scandale.

Évidemment, tout n'est pas si tranché, et, si beaucoup de propriétaires ont des difficultés – un détail anecdotique, mais qui peut donner à penser : imaginez ce que peut être le lavage des carreaux, quand vous avez cent grandes fenêtres ou plus à nettoyer –, certains d'entre eux ont les moyens. Cependant, d'une façon générale, leur situation est beaucoup moins enviable qu'on ne pourrait communément le croire. D'ailleurs, si elle l'était, les châteaux seraient plus demandés ; or, il est devenu courant de trouver un beau château à moindre prix qu'un appartement à Paris, et il n'est pas évident, pour le vendeur, de trouver un preneur. À chaque héritage, l'État prenait sa part, obligeant bien des héritiers à vendre le tout ; ou pire, une part du mobilier pour garder les murs.

Ainsi, des châteaux sont-ils passés en de riches mains étrangères, nombre d'autres se sont-ils vidés. Dans le premier cas, ils sont généralement inaccessibles au public ; dans le second, ils n'ont guère d'intérêt pour d'éventuels visiteurs. Le pragmatisme, heureusement, a finalement prévalu. L'article 5 de la loi va favoriser le maintien d'un patrimoine visitable et inciter à de nouvelles ouvertures.

Le temps de l'ouverture

C'est d'ailleurs cette notion du rôle des propriétaires que, depuis plusieurs années, des associations, telles la Demeure Historique et les Vieilles Maisons Françaises, se sont employées à faire reconnaître ; elles sont en première ligne dans ces grands débats qui font évoluer ce monde du patrimoine. Vis-à-vis de l'Administration, elles ont bataillé depuis longtemps pour ce fameux article 5 de la loi de janvier 1988. D'autre part, elles ont incité fortement les propriétaires à ouvrir leurs demeures à la visite, quand cela était possible. Avec un succès que l'on peut juger aisément en consultant le guide « Ouvert au public », édité par la Caisse nationale des monuments historiques et des sites (l'établissement précisément chargé de gérer l'accueil et l'animation dans les monuments de l'État). Fruit d'une collaboration avec les associations, il recense 1 400 monuments, publics ou privés. La compétition est rude, et le secteur privé se montre très performant.