Chez nos voisins européens, la situation est encore plus grave. Près de cinq millions de tonnes de déchets toxiques sont produits chaque année en Allemagne fédérale, 300 000 tonnes aux Pays-Bas, par exemple. Ces pays ont une densité de population élevée et une décentralisation poussée des pouvoirs ; la pression des associations de défense de l'environnement y est forte. C'est pourquoi plusieurs affaires d'exportation vers la France ont éclaté en 1988. En juin, le député européen Paul Staes a révélé que des déchets industriels et des métaux lourds provenant de Rotterdam ont été envoyés à la décharge de Blaringhem, près de la frontière franco-belge. Le document présenté aux douanes mentionnait pourtant qu'il s'agissait d'ordures ménagères. Alertée, la préfecture du Nord a admis qu'il y avait eu des importations, mais elle a tenu à préciser qu'elle interdisait l'entrée de tous les chargements, même s'il s'agissait d'ordures ménagères.

En 1988, de nombreuses demandes ont été présentées dans les DRIR (Directions régionales de l'industrie et de la recherche) pour l'importation de déchets, sans que souvent les dossiers précisent clairement leur composition. À Maubeuge, par exemple, une commune du Nord où le taux de chômage dépasse 20 %, le syndicat intercommunal indique qu'il est prêt à accueillir les ordures de Delft, aux Pays-Bas, et de Zurich, en Suisse. Des quantités importantes de détritus – jusqu'à 3 000 tonnes par jour – ont déjà été importées d'Anvers ou de Hollande. Cependant, les élus reculent devant les protestations du public et les restrictions réglementaires. Dans d'autres cas, l'importation est totalement clandestine. Le journal Nord-Éclair cite notamment le cas de camions entrés en France et dont on ignore la destination. À certains maires et agriculteurs de cette région frontalière on a offert jusqu'à 7 000 francs par camion déversé dans d'anciennes carrières ou sur des friches industrielles.

Un cas particulier : le nucléaire

Les déchets radioactifs font l'objet de règles draconiennes ; ils constituent en effet un cas à part avec des longévités allant de 300 ans à des dizaines de millénaires Le doute existe encore sur les meilleures techniques d'entreposage. Aucune solution ne fait l'unanimité internationale. Selon Greenpeace International, plusieurs programmes de rejets en mer ont déjà été annoncés notamment par le Japon et les États-Unis, dans le Pacifique Sud. Ils ont été suspendus en raison des protestations des pays riverains.

En Europe, l'affaire la plus retentissante concerne depuis deux ans le centre nucléaire de Mol, en Belgique. Des fausses déclarations des exportations frauduleuses de déchets y ont eu lieu. Deux personnes se sont suicidées, dont le chef du service Déchets de Transnuklear, une entreprise de transport et de conditionnement nucléaire qui travaillait avec le centre de Mol. Pour cacher les fraudes 56 millions de DM (170 millions de francs) ont été distribués en pots-de-vin et la destination d'une somme de 15 millions de DM reste inexpliquée. Le scandale éclabousse la plupart des centrales allemandes, l'organisme de contrôle TUV et le centre de recherche de Karlsruhe.

En France, les quantités de déchets radioactifs représentent un kilo par habitant et par an, dont 10 % produits par les centres de recherche ou par les hôpitaux Le reste provient du cycle de combustible des centrales nucléaires Les déchets sont gérés et contrôlés par l'Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) qui fait partie du CEA (Commissariat à l'énergie atomique). Cette centralisation a permis jusqu'à présent le maintien d'une grande rigueur. Les déchets sont notamment envoyés au centre de stockage de la Manche, près de la Hague, et l'ouverture d'un autre dépôt est prévue à Soulaine (Aisne). Quatre sites sont envisagés pour les 60 000 mètres cubes de déchets de haute activité qui seront produits d'ici à l'an 2 000 ; près d'Angers, de Parthenay, de Laon et de Bourg-en-Bresse. À moins que ne l'emportent les vives oppositions qui se sont manifestées dans les quatre régions concernées.

Une marchandise ordinaire ?

Au problème du stockage clandestin s'ajoute celui de la gestion d'anciens sites pollués. Les pays où l'industrie est la plus ancienne découvrent qu'ils possèdent des terrains potentiellement dangereux. On a trouvé 21 000 de ces sites aux États-Unis, 35 000 en République fédérale d'Allemagne, 4 300 aux Pays-Bas. Pour les seuls États-Unis, le coût total du nettoyage a été estimé à 200 milliards de francs. Les terrains souillés se situent souvent dans des zones très peuplées, ce qui accroît la tentation chez les promoteurs d'« oublier » leur utilisation précédente. À Dortmund, dans la Ruhr, le terrain d'un lotissement bâti sur un site contaminé par des hydrocarbures aromatiques a dû faire l'objet d'un grattage sur plusieurs mètres d'épaisseur, pour éviter aux enfants de graves troubles du métabolisme. Les péniches chargées de ces terres polluées ont été envoyées en France, à la décharge de Menneville (Pas-de-Calais).