Automobile : la guerre des Trois

Sur le marché mondial de l'automobile, la guerre des Trois est déclarée. Le Japon a percé les défenses des États-Unis et veut en faire une base pour atteindre son prochain objectif : l'Europe, qui tente de se protéger.

En cette année 1988, et après le record qu'elle a battu en 1986, l'automobile mondiale patine. Globalement, le marché ne progresse plus. Le découpage de la planète en trois grands marchés, qui se partagent d'inégale façon 32,5 millions de véhicules neufs chaque année, est aujourd'hui unanimement reconnu. Chaque grand marché – Asie, États-Unis, Europe – est aussi un centre de production.

Contrairement à bien des idées reçues, l'Europe domine le trio avec plus de 16,3 millions de véhicules produits, contre 13,5 en Amérique du Nord et 13,1 en Asie. Pour les voitures particulières, le détail est révélateur, l'Europe des Douze compte ainsi 11,6 millions de véhicules produits pour 11,5 millions d'immatriculations, soit un équilibre presque parfait ; l'Amérique ne peut en dire autant avec 8,9 produits pour 11,4 immatriculés. La réponse au déséquilibre, on la trouve chez le troisième « grand », une « Asie aisée » qui comprend le Japon, la Corée, l'Inde, Taiwan et, par extension, l'Australie ; sa production est de 8,7 millions, ses immatriculations de 4,5 millions. Le décor est ainsi planté : l'Asie – et surtout le Japon – représente l'élément conquérant.

L'ascension nipponne

Tout est parti de l'euphorie consumériste de l'après-guerre. Tant que l'Europe relevait ses ruines puis s'enrichissait avec la même ardeur, le marché automobile est resté extrêmement porteur. L'important était de produire, sans souci réel de vendre, puisqu'on « distribuait » ses voitures sans jamais satisfaire à 100 % les acheteurs. L'Amérique prospère étalait ses chromes et ses voitures-paquebots et faisait rugir ses gros V8 gloutons, tandis qu'au Japon Hino montait des 4 CV Renault sous licence. En 1956 sortait la Fiat 500, qui allait faire peur aux Japonais au point d'accepter l'ouverture de négociations pour limiter la possible invasion des voitures turinoises, des pâtes et des cuirs italiens. En résulta un accord de réciprocité absolue – 2 200 voitures par an – qui est encore valable aujourd'hui. La phase de réindustrialisation du Japon est ensuite passée par d'autres accords de licence, puis par le copiage parfait des modèles (surtout britanniques) correspondant à son marché. Bons élèves, les Nippons devinrent rapidement des créateurs. L'automobile fut alors un élément moteur de leur économie. Pourtant, il n'était pas encore question d'exporter, le marché intérieur suffisant – comme en Europe – à absorber toute la production.

L'automobile japonaise entama ensuite sa conquête du monde. À grand renfort de stylistes européens, elle se fixa logiquement sur les standards américains. À cause des vitesses limitées, le style, le confort et la robustesse primèrent ; la sophistication, les performances et la tenue de route des européennes lui semblèrent parfaitement inutiles. Aujourd'hui, elle a su prendre en compte nos désirs sans pourtant renoncer à sa philosophie et à sa qualité de départ : voilà pourquoi l'automobile « made in Japan » est chez elle partout dans le monde et qu'elle est à même de satisfaire tous les types de demande.

En 1987 – année des derniers chiffres officiels et vérifiés –, la production japonaise a atteint 8,4 millions de véhicules. L'étonnant est que les onze constructeurs de VP (voitures particulières) non seulement survivent mais prospèrent ! À l'heure où, en France, les Cassandres voudraient faire fusionner PSA et Renault pour donner à l'ensemble une taille mondiale correcte, le pied de nez des « petits » japonais fait sourire. Toyota, le géant, domine, avec 2,7 millions, devant Nissan, 1,8 million, et Honda, 1,3 million ; derrière, Mazda – 853 000 –, Mitsubishi – 575 000 –, Subaru – 482 000 –, Suzuki – 293 000 –, Isuzu – 204 000 –, Kaihatsu – 161 000 – progressent chaque année.

La conquête de l'Amérique

La recette est simple et se nomme « concurrence ». Chacun doit rivaliser d'ingéniosité pour survivre dans un marché intérieur que les Occidentaux qualifient de « pourri ». C'est pourtant pour cela que le record de 1987 – 4,34 millions d'immatriculations – va être battu cette année.