L'hypothèse que la France et l'Allemagne fédérale entrent en concurrence ne peut toutefois être exclue, mais celle-ci paraît devoir se limiter aux rapports avec l'Europe de l'Est, sujet sur lequel ce pays a quelques longueurs d'avance sur ses partenaires. La France a en effet laissé la RFA occuper tout le terrain économique. Or, la situation nouvelle créée par la nouvelle politique du Kremlin a ouvert des perspectives accrues de dialogue et de coopération avec les pays du pacte de Varsovie, du moins avec ceux d'entre eux – Hongrie, Pologne – qui sont favorables au vent nouveau qui souffle de Moscou. « Le rapprochement des Europes séparées est l'une des grandes affaires de la fin du siècle », a d'ailleurs confié le président.

L'autre « grande affaire », qui est évidemment liée à celle-là, est le changement en URSS et la politique de désarmement dans laquelle elle s'est engagée, Mikhaïl Gorbatchev allant jusqu'à annoncer une réduction unilatérale de 10 % des forces soviétiques en Europe. Celle-ci conduirait à la démobilisation de 500 000 hommes de troupe, dont 50 000 stationnés en RDA, Tchécoslovaquie et Hongrie. Mais, en la matière, le problème le plus pressant restait, pour Mikhaïl Gorbatchev, celui de l'Afghanistan. Afin de hâter l'application des accords de Genève sur le retrait soviétique, le numéro un du Kremlin a proposé, à la tribune des Nations unies à New York, un cessez-le-feu total pour le 1er janvier 1989, date à laquelle les puissances qui fournissent des armes aux belligérants devraient cesser de le faire. Et, surtout, il a souhaité que l'ONU installe sur place des forces de maintien de la paix. L'administration américaine s'est, sur ce point, montrée réticente. D'une façon plus générale, le problème posé aux Américains, et au président nouvellement élu George Bush, est de s'adapter à une diplomatie en mouvement, là où elle avait coutume de traiter avec une diplomatie immobile.

Il est vrai que, plus que jamais, l'Europe vit à l'heure du condominium russo-américain. George Bush et Mikhaïl Gorbatchev ont en commun de ne pouvoir accueillir avec sympathie l'Europe du marché unique. Les Européens vivront donc des heures difficiles, car l'URSS a besoin d'une Europe politiquement divisée, et les États-Unis veulent une Europe qui n'ait pas la capacité économique de leur résister. Les Soviétiques cachent leur hostilité derrière un nouveau visage, plus avenant que celui de ses prédécesseurs, qui aime parler de la « maison commune » qui réunit les peuples de l'Atlantique à l'Oural. Les seconds se montrent brutaux et bruyants, et pourraient bien – comme le laissent craindre les négociations du GATT engagées à Montréal à la fin de l'année – glisser vers un protectionnisme de sinistre mémoire. Ainsi, même si l'Europe a pu penser tirer avantage de voir élu un homme, George Bush, qui la connaît bien et qui devrait gommer les aspects les plus folkloriques de la diplomatie de son prédécesseur Ronald Reagan, les réalités internationales et commerciales finiront toujours par imposer leur dure loi.

Pour l'heure, l'environnement international bénéficie de l'embellie qui rapproche Américains et Soviétiques et qui crée des opportunités inédites en matière d'échanges internationaux. Des conflits que l'on croyait durables ont pris fin : c'est le cas de la guerre Iran-Iraq, qui, par le nombre des morts entre deux belligérants, n'a qu'un précédent, la « Grande Guerre » entre la France et l'Allemagne. Au cessez-le-feu sur le Chatt el-Arab, il faut ajouter la perspective du retrait des troupes soviétiques de l'Afghanistan et des troupes vietnamiennes du Cambodge et du Laos, sans oublier, bien qu'à une échelle plus réduite, la réconciliation de Jacques Lafleur et de Jean-Marie Djibaou, sous l'égide de Michel Rocard, et l'espoir, consacré par référendum le 6 novembre, de voir la Nouvelle-Calédonie vivre en paix pendant les dix prochaines années. Mais la violence continue de faire la loi dans les territoires occupés par Israël, où la « guerre des pierres » se poursuit, diffuse, meurtrière et sans réponse politique, en Irlande du Nord bien sûr et au Nicaragua, où les pourparlers de paix marquent le pas. Des violences nouvelles sont apparues dans le Caucase soviétique entre Arméniens et Azéris, en Yougoslavie où se réveillent des nationalités rivales, en Algérie, enfin, où la révolte de la jeunesse a été brisée dans le sang. L'année s'est pourtant achevée sur une note positive : l'Assemblée générale des Nations unies a voté une résolution qui consacre « le droit à l'assistance humanitaire », qui tente d'étendre au-delà des frontières le devoir d'assistance à personnes en danger. Vaste et beau programme !