Du côté français, même si leur action fut souvent plus discrète compte tenu du « profil bas » longtemps adopté par Paris, il faut citer, entre autres, des hommes comme l'écrivain Philippe de Saint-Robert, le député Xavier Deniau, le haut fonctionnaire Philippe Rossillon, qui, tous, sur le plan interne ou international, ont contribué par leurs écrits ou leurs activités à populariser l'idée francophone et à l'imposer au sérail politique parisien. Avec le recul, un numéro de novembre 1962 de la revue Esprit, sur le thème « le français, langue vivante », fait un peu figure de manifeste avant la lettre de l'intelligentsia d'expression française, hexagonale ou étrangère. À côté de noms comme ceux de Pierre-Henri Simon, Jean Lacouture et Vincent Monteil, on y rencontre ceux de Léopold Sédar Senghor, Norodom Sihanouk, Sélim Abou, universitaire jésuite libanais spécialiste du bilinguisme arabe-français, ou Kateb Yacine, écrivain algérien, grand prix national français des lettres.

À ce moment-là, le terme même de « francophonie » n'avait pas encore cours bien qu'il fût déjà presque centenaire, car forgé à la fin du xixe siècle par le géographe français Onésime Reclus (1837-1916) à partir d'une double racine latino-grecque pour désigner à la fois « les populations parlant français » et « l'ensemble des territoires où l'on parle français ». À notre époque, on entend plus précisément par « francophonie » l'ensemble des pays ou communautés territoriales où le français est langue maternelle (France, Wallonie, Romandie, Québec, etc.) ou langue familière (Liban, Maghreb, Afrique noire, etc.), soit en tout plus de deux cents millions de personnes, dont cent vingt-cinq millions de locuteurs réels en 1985. On n'inclut donc pas dans le concept actuel les personnes parlant français en tant qu'idiome purement étranger et qui, dans certains États comme l'Union soviétique, les États-Unis ou la Grande-Bretagne, peuvent être plusieurs millions.

La mosaïque francophone à cheval sur les cinq continents

États et entités participant au mouvement francophone :
– Trente-huit États : Belgique, Bénin (ex-Dahomey), Burkina (ex-Haute-Volta), Burundi, Canada, Centrafrique, Comores, Congo, Côte-d'Ivoire, Djibouti, la Dominique, Égypte, France, Gabon, Guinée, Guinée-Bissau, Haïti, Laos, Liban, Luxembourg, Madagascar, Mali, Maroc, Maurice, Mauritanie, Monaco, Niger, Ruanda, Sainte-Lucie, Sénégal, Seychelles, Suisse, Tchad, Togo, Tunisie, Vanuatu, Viêt-nam, Zaïre.
– Entités : départements et territoires d'outre-mer français, Louisiane, Nouvelle-Angleterre (les « Francos » sont répartis dans les six États de cette région des États-Unis), Nouveau-Brunswick (province canadienne partiellement francophone), Québec, Val-d'Aoste (Italie), Wallonie-Bruxelles.

États et entités utilisant à des degrés divers le français mais ne participant pas aux conférences au sommet de la francophonie :
– États : Algérie, Cameroun (Le Cameroun participe toutefois aux activités de l'Agence (francophone) de coopération culturelle et technique.), Cambodge, Syrie.
– Entités : Pondichéry (Inde), Ontario (province partiellement francophone du Canada).

Malraux en Afrique

L'un des derniers déplacements d'André Malraux en tant que ministre des Affaires culturelles du général de Gaulle fut, en 1969, pour l'Afrique noire anciennement française ; il y parraina l'idée de la première institution permanente multifrancophone, qui devait être concrétisée l'année suivante, à Niamey, sous la forme de l'Agence de coopération culturelle et technique, sorte de forum des francophones, installé depuis lors sur les bords de Seine.

Mais, un lustre auparavant, en 1965, la Tunisie bourguibienne et le Sénégal senghorien avaient déjà appelé à la création d'un « Commonwealth à la française, respectant les souverainetés de chacun ». La gestation fut longue, compte tenu, on l'a vu, de l'extrême prudence française, du moins dans les débuts de l'affaire, mais aussi, et de plus en plus, au fur et à mesure que le temps passait, de la lancinante question canado-québécoise. Quels seraient dans les rencontres politiques, et principalement aux sommets, les rôles et préséances respectifs du Canada fédéral et du gouvernement provincial autonome du Québec ? La province à large majorité francophone (85 p. 100 de ses habitants) était alors en pleine fermentation indépendantiste et elle n'entendait pas avoir moins de prérogatives, dans les organes ou réunions francophones, que les « Anglais d'Ottawa ».