Des oppositions idéologiques, clairement manifestées à la conférence de Bucarest en 1974 par des pays comme l'Algérie, professant que « la meilleure pilule, c'est le développement », quelques scandales dont le plus connu est celui qui, en Inde, à propos de stérilisations forcées, chassa provisoirement Indira Gandhi du pouvoir, mais surtout la confrontation avec l'inertie des comportements et des cultures conduisirent progressivement le FNUAP à une appréciation plus nuancée des liens entre le développement économique et la baisse de la fécondité. Celle-ci n'apparaît plus comme une condition du développement, mais plutôt comme une conséquence. Ou, plus exactement, développement et moindre fécondité sont perçus comme les conséquences communes de divers progrès dans les domaines de la santé, de la production vivrière et surtout de l'éducation.

Le FNUAP a alors infléchi la destination de ses financements, intégrant le planning familial dans une approche plus générale de la politique sanitaire, de la formation des jeunes femmes à leur rôle de mère, et n'omettant pas le recueil nécessaire de l'information démographique préalable. C'est ainsi que le FNUAP a contribué au recensement de la Chine, et à l'enquête mondiale de fécondité déjà citée. Dans ces conditions, les pays jusqu'ici réticents reconsidèrent progressivement leur position. Et les États-Unis, qui avaient de même suspendu leur contribution, pour cause de soupçon d'aide à l'avortement, réprouvée par l'administration Reagan, pourraient la reprendre.

Ainsi, le FNUAP devient progressivement l'une des nombreuses agences contribuant à l'aide multilatérale au développement, et son action doit être replacée dans la problématique d'ensemble des flux financiers allant des pays riches vers les pays pauvres, et, plus généralement, dans celle de la crise du système monétaire international.

La transition démographique

La croissance démographique de l'humanité est un phénomène d'une simplicité... biblique. Si le taux d'accroissement est actuellement de 1,7 p. 100 par an, c'est qu'il est la différence entre un taux de natalité de l'ordre de 2,7 p. 100 et un taux de mortalité de 1,0 p. 100. Les démographes disent plus volontiers 27 et 10 p. 1000, et, au niveau mondial, il n'y a pas, jusqu'à nouvel ordre, de problème de migrations extérieures... En France, la différence est de 0,4 p. 100 et les taux respectivement de 14 et 10 pour 1 000.

Nous sommes entrés depuis une bonne vingtaine d'années dans la phase de réduction de cette croissance. Dans les années 1960, le taux d'accroissement mondial était de 2,0 p. 100 par an. La réduction de la fécondité en Chine, encouragée par la politique drastique dite « un couple, un enfant », a joué un rôle majeur dans ce ralentissement, dont on voit avec quelle lenteur désespérante il se réalise. En ces matières, en effet, l'unité de temps est la génération, environ vingt-cinq ans. Le schéma classique est le suivant :
– Dans la première génération, la mortalité se réduit grâce à des programmes d'hygiène et de santé publique ; le nombre des enfants survivants s'accroît.
– Dans la seconde génération, la population prend conscience de ces progrès et réduit peu à peu sa fécondité ; mais la natalité ne diminue pas, du fait du nombre croissant de jeunes adultes.
– Dans la troisième génération, la natalité diminue enfin, mais non le taux d'accroissement de la population, du fait de la réduction simultanée du taux de mortalité, liée au rajeunissement de la pyramide des âges.
– C'est seulement dans la quatrième génération que le taux de mortalité se stabilise et remonte même quand la réduction de la fécondité entraîne le vieillissement de la population. Le taux de natalité l'ayant rejoint, le taux d'accroissement s'annule et la population se stabilise à un niveau bien supérieur au niveau de départ, de trois à dix fois multiplié.

Les pays aujourd'hui développés ont parcouru à peu près tout ce processus, dit de transition démographique, d'autant plus rapidement qu'ils l'ont abordé plus récemment. Les pays moins développés en sont à des stades divers et suivent des trajectoires infiniment variées, selon les cultures dominantes et les circonstances économiques, politiques et migratoires. Beaucoup de pays africains n'ont pas encore abordé la seconde phase et payent toujours de lourds tributs aux maladies tropicales, à la malnutrition, et présentent même des cas de sous-fécondité, liée aux maladies vénériennes, auxquelles il faut désormais ajouter le Sida. À l'autre extrémité du spectre, les villes-États de Hongkong et de Singapour ont rejoint les normes occidentales d'espérance de vie et de mortalité infantile. Mais, quelles que soient les péripéties avec lesquelles chaque peuple affrontera le prochain doublement de la population de l'humanité, de 5 à 10 milliards, que celui-ci prenne soixante ou cent ans, les vraies questions s'appellent formation des jeunes générations, investissements en faveur de l'agriculture, maîtrise de la croissance urbaine, financement de l'endettement, régulation des prix internationaux, reprise des migrations extérieures. Vaste programme !

Populations dans la crise

On peut, en effet, considérer la crise monétaire actuelle comme une des manifestations d'une gigantesque redistribution en cours des activités et des marchés. La montée des jeunes générations, nombreuses en Asie du Sud-Est et en Amérique latine, a accru, là où on a su les former, les ressources en main-d'œuvre, et offert aux grandes industries internationales des zones de « bas salaires » qui ont bouleversé les conditions de la concurrence mondiale, et contribué largement à la croissance du chômage dans les pays développés.