Pour pallier les lacunes de l'état civil, les démographes ont mis au point toute une technique d'enquêtes par sondage, fondées soit sur la mémoire des femmes, soit sur des passages répétés d'enquêteurs dans les familles. Ces techniques ont débouché sur l'organisation coordonnée d'une « enquête mondiale de fécondité », achevée au début des années 1980, et qui a considérablement amélioré la connaissance des phénomènes de procréation, de mariage et de mortalité infantile dans beaucoup de pays en développement.

En revanche, l'ignorance est encore grande pour les migrations. Les registres ouverts en certains pays pour les repérer ne peuvent être exacts que dans les cas extrêmes de grande rigueur administrative (Chine), ou de respect scrupuleux des libertés individuelles (Pays-Bas). Dans les cas intermédiaires, la méfiance envers les immigrants, concurrents à l'emploi, conduit à des pratiques de clandestinité, qui rendent difficile la mise au point d'un système exhaustif de mesure. Il faut alors se contenter de la combinaison de diverses sources administratives et d'enquêtes par sondage.

On admet en France que le recensement sous-estime la population totale d'environ 1 à 2 p. 100, ce qui fait quand même 500 000 à 1 million d'habitants... Or il est clair que la population de la France est une des mieux connues au monde. Heureusement, veille le dieu des statisticiens, à savoir la loi des grands nombres et de compensation des erreurs, qui alterne les causes de sous-estimation et de surestimation. Avancer un ordre de grandeur de 5 p. 100 pour la précision de la population mondiale est alors raisonnable : nous serions cinq milliards, à 250 millions près, soit environ « cinq France » d'incertitude. Plus sérieusement, comme la population varie actuellement de 1,7 p. 100 par an, cela voudrait dire que le passage du cap des 5 milliards ne peut être daté à trois ans près : 11 juillet 1987, plus ou moins 3 ans...

La vitesse pour doubler

Mais cette date n'a au fond que peu d'importance. L'essentiel, c'est la vitesse de croissance : 1,7 p. 100 par an, cela fait un doublement en 40 ans, en vertu de la « règle de 70 » : le produit du temps de doublement, en années, par le taux de croissance, en pour 100 par an, est de 70. Le plus expressif est de comparer ce temps de doublement à la durée de la vie humaine. Au rythme actuel, le monde, qui avait 2,5 milliards d'habitants en 1950, en aurait 10 milliards en 2027.

En France, il a fallu plus de deux siècles pour que la population double, passant de 28 à 56 millions d'habitants. En Allemagne ou en Italie, au xixe siècle, il fallait 60 à 70 ans pour ce doublement. Mais, aujourd'hui, dans beaucoup de pays en développement, en particulier les pays d'Afrique et les pays musulmans, cette croissance est supérieure à 3 p. 100 par an, et le temps de doublement inférieur à 25 ans. Quand un natif de ces pays envoie ses enfants à l'école, il y a deux fois plus d'habitants que lorsqu'il y allait lui-même. Imaginez ce que serait le débat public en France si les électeurs qui ont appris, dans leur jeunesse, que la France avait 40 millions d'habitants, découvraient soudain qu'elle en a 80 !

Alerte à la surpopulation

Le FNUAP a précisément été fondé pour aider les pays confrontés à cette croissance trop rapide. Et c'est pour attiser l'inquiétude de ses bailleurs de fonds qu'il a profité du passage du cap des 5 milliards pour donner un nouveau coup de projecteur sur le phénomène. Mais sa propre philosophie évolue. Dans les années 1960, quand l'Américain Paul Ehrlich dénonçait « la bombe P », cette « explosion démographique » était dénoncée comme la source unique des difficultés extrêmes dans lesquelles se débattaient les pays du tiers monde. Le salut était alors recherché dans des programmes intensifs de « family planning », qui étaient censés enseigner aux masses rurales d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine l'usage de la pilule, du stérilet, de la stérilisation et les vertus de la famille de deux enfants. Outre les États-Unis, les principaux pays finançant ces programmes étaient les pays protestants d'Europe du Nord et le Japon. La France, au nom de son traditionnel natalisme, considérait cette politique avec méfiance.