La notion de justice sociale qui paierait chacun selon son travail et son utilité est une autre voie pour restaurer une morale sociale perdue, dont l'évolution pèse si lourdement sur l'économie soviétique. Privilégier le facteur humain, l'améliorer, rendre au message de Lénine sa valeur éducative et intégratrice au lieu que de laisser se poursuivre la dispersion vers la religion et diverses superstitions, c'est à quoi s'emploie l'équipe de Gorbatchev.

Un monde qualitativement différent ?

Dans une série de textes et de déclarations, Gorbatchev a précisé ses vues internationales. Derrière le discours général sur la paix et le désarmement et le retour à un dialogue privilégié avec les États-Unis, on entrevoit trois grands axes d'action :
– la stabilisation de la famille socialiste européenne, invitée tout à la fois à poursuivre dans la voie de l'intégration, à choisir à l'intérieur les solutions politico-économiques les plus appropriées à chaque pays (discours de Gorbatchev à Prague) et à contribuer à l'effort de redressement de l'URSS ;
– le couple Europe-désarmement. Après le plan de désarmement global du 15 janvier 1986, l'appel de Budapest sur les forces conventionnelles, le sommet de Rejkjavik, Gorbatchev a accéléré les initiatives – option double zéro, lien avec l'Initiative de défense stratégique (IDS), puis séparation des négociations, discussions étendues à certains types de missiles (SRINF – Short Range Intermediate Nuclear Force) et à l'Asie. Pour autant, Mikhaïl Gorbatchev ne néglige pas les autres champs d'action, entre autres l'Extrême-Orient, où la normalisation des relations sino-soviétiques donne crédit à son discours de Vladivostok : « Nous sommes une nation d'Asie » ; la relance du plan de paix au Moyen-Orient, et les propositions sur le Golfe, ainsi que le plan de règlement à Chypre (janvier 1986) et l'idée de CSCE (Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe) méditerranéenne (reprise en mars 1986) ; les initiatives de normalisation en Iran et Afghanistan enfin ;
– les relations économiques internationales, où doivent s'inscrire les dispositions du 13 janvier 1987 sur les sociétés mixtes et la nouvelle législation sur le commerce extérieur. Même si les problèmes classiques de la convertibilité du rouble, des bénéfices transférables et des taux d'imposition sur les bénéfices restent en discussion, plus de deux cents firmes étrangères avaient, au début de 1987, soumis des projets au Comité d'État pour les Relations économiques extérieures. Par ailleurs, l'équipe Gorbatchev a multiplié les ouvertures vers la CEE, le GATT, le FMI et fait des propositions en matière de développement des pays les moins avancés (sur la dette notamment).

La politique étrangère est à la fois un moyen et une fin pour Gorbatchev. Un moyen, car un changement du contexte international, la limitation des efforts d'armements et la coopération avec l'Occident peuvent lui permettre de se consacrer au maximum au relèvement du pays. Une fin, car l'assainissement interne a pour conséquence le maintien de la puissance internationale de l'URSS, menacée par le déclin intérieur. L'avenir dira si Gorbatchev sera le réformateur dont l'URSS a sans aucun doute besoin, ou s'il est condamné à constater les contraintes internes et à se réfugier dans l'action à l'échelle mondiale.

Hélène Carrère d'Encausse
Docteur ès lettres et sciences humaines, professeur à l'Institut d'études politiques de Paris, historienne et politologue, Hélène Carrère d'Encausse figure parmi les meilleurs experts occidentaux de l'Union soviétique. Souvent consultée à chaud par la télévision et par la presse, elle publie aussi régulièrement des ouvrages de réflexion et d'information sur l'URSS, entre autres, à la Librairie Flammarion : l'Empire éclaté (1979) ; le Pouvoir confisqué (1980) ; le Grand Procès (1983) ; le Grand Défi (1986).