S'il est appliqué sans réserves, le second texte adopté le 23 juillet par le Politburo a un champ d'action plus important puisqu'il implique la suppression des limites à la dimension des lopins privés et au nombre de bêtes autorisées, notamment de chevaux ; ce texte prévoit aussi que les entreprises rurales collectives, sovkhozes et kolkhozes, loin de détourner à leur profit les activités privées, prêtent assistance aux producteurs privés. Sans doute n'est-ce encore qu'une direction pour l'action, mais il convient surtout de retenir le constat qu'elle dissimule, l'échec patent du secteur collectif : au cours du XIe plan quinquennal, la production céréalière annuelle chute de 14 p. 100, le plan n'est pas réalisé et la création d'institutions nouvelles – le Gosagroprom – n'a rien résolu. La pénurie alimentaire dans les villes conduit à la réhabilitation du secteur privé à la campagne, et même à cet extraordinaire renversement d'un système de valeurs qui, depuis 1917, privilégia le citadin, érigé en modèle social, et qui soudain pousse celui-ci, dans une certaine mesure, au « retour à la terre ».

Deuxième niveau du dispositif de changement : les activités individuelles et coopératives. Le 21 novembre 1986, la Pravda publie la loi sur le travail et l'entreprise individuelle ou coopérative, qui entrera en vigueur le 1er mai 1987, texte majeur parce qu'il implique des possibilités de changement, mais aussi texte ambigu. Ses dispositions sont plus restrictives que celles qui, en Hongrie, fondent les activités privées. De plus, ce texte est cerné de barrières institutionnelles et idéologiques ; le maintien d'un secteur public prioritaire semble marginaliser les activités du second secteur et les confiner dans la fonction limitée d'une contribution ponctuelle aux besoins des consommateurs. Mais les craintes soulevées dans les débats à propos du détournement des moyens du secteur public vers le secteur privé, du développement de l'inégalité des revenus, de la croissance des gains dont le travail ne serait pas la source, ainsi que l'émergence d'une idéologie du profit et d'une course à la richesse suggèrent que la loi n'a pas encore un destin clair. Le contrôle de l'État, par l'impôt notamment, le degré d'enthousiasme de la population pour ce type d'activités restent à préciser. Les potentialités de cette loi sont néanmoins considérables et, comme les textes destinés à réhabiliter les activités privées à la campagne, la loi de novembre 1986 contribue à la remise en cause du « tout-État ». Faut-il s'étonner si, au-delà des petits commerces – restaurants coopératifs, marchands de toutes sortes de biens alimentaires –, des petits services – taxis, couturières – qui se multiplient, c'est vers le délicat secteur des services médicaux que se tourne l'attention publique. Un sondage digne de foi réalisé à Moscou, ville pourtant privilégiée, montre que 23 p. 100 seulement de ses habitants sont satisfaits du fonctionnement de la médecine soviétique, tandis que 55 p. 100 manifestent leur mécontentement. Ceci explique qu'à l'automne 1987 un hôpital payant annonce son ouverture à Moscou, alors que la Constitution garantit la gratuité des soins médicaux. De fait, le règlement des soins s'était instauré sur une faible échelle ; en 1986, 0,4 p. 100 des soins médicaux n'étaient plus gratuits. Mais le projet de décret, publié le 15 août 1987, sur l'avenir de la médecine soviétique, prévoit qu'en l'an 2000 l'exercice privé de la médecine augmentera de cinq fois. Et le ministre de la Santé, E. Chazov, déclarait au même moment que si les Soviétiques voulaient vivre plus sainement, ils devraient payer.

Mais l'essentiel du projet de réforme reste la propriété d'État et donc la réforme de l'entreprise d'État, approuvée par le Soviet suprême, le 30 juin 1987. Cette loi n'est pourtant qu'une partie du dispositif, puisque les textes d'application sont loin d'être publiés ; elle apparaît nettement comme un compromis entre tendances opposées.