Sans doute le libéralisme est-il moins triomphant que l'année précédente et ses croisés sont-ils moins assurés. Un chiffre par exemple étonne : voilà que le taux des prélèvements obligatoires va atteindre 44,7 p. 100, un record. Même si quelques succès économiques sont enregistrés, si la fiscalité de l'État a été réduite, ce record apparaît comme un symbole, celui de l'insuccès libéral. D'ailleurs, les libéraux les plus farouches vont jusqu'à reconnaître avoir quelque peu péché par excès de confiance. Quant aux socialistes, ils ne paraissent pas davantage soucieux de retrouver leur doctrine passée et si, au moment des événements boursiers, ils insistent de nouveau sur l'importance du rôle de l'État, leurs « 151 propositions » sont loin de rappeler leur projet de 1980. En fait tout se passe comme si une idéologie avait succédé à une autre sans emporter pour autant la conviction, comme si le manteau du réalisme recouvrait désormais les idéologues.

D'où cette impression de bataille sans idées. Les voix ont beau tourner et les manœuvres être subtiles, ni les uns ni les autres ne dissimulent le vide des projets. D'ailleurs, on prête ce mot à François Mitterrand : « les programmes tiendront sur un ticket de métro ». Vrai ou pas, il paraît convaincant à beaucoup tant paraît triompher le « look », l'image, ce qu'en d'autres temps on appelait le politique spectacle. Certes, le constat n'est pas vraiment nouveau et les Cassandre ont pris l'habitude de stigmatiser la faiblesse du débat ou de s'étonner de la personnalisation de la lutte. Mais le comble semble être atteint cette année avec un président qui fait du mystère une règle de pouvoir et, dans le camp d'en face, des rivaux qui sont d'abord occupés à s'observer et qui retardent le plus tard possible le moment d'exprimer leurs choix. Les uns et les autres savent en outre qu'ils ne seront guère différents quant au fond, que l'heure n'est ni aux grands changements ni aux profondes ruptures. Dès lors à quoi bon s'exprimer, si c'est pour sombrer dans la banalité ? Le jeu toutefois a sa logique et il n'est finalement pas étonnant que ceux qui occupent la scène sont pour le moment les acteurs du premier acte, c'est-à-dire du premier tour, les Le Pen ou les Juquin : eux, évidemment, ont tout intérêt à s'exprimer dès maintenant puisqu'ils seront, selon toute vraisemblance, conduits à se taire lorsque les vedettes, les prétendants du second tour, décideront leur entrée en lice.

Rien n'est étonnant et rien finalement n'est innocent : devant ce flottement des idéologies, devant le désarroi, devant ce silence des politiques qui soudain ne veulent ou ne peuvent plus apporter les réponses que traditionnellement on attend d'eux, il n'est guère surprenant que survienne le règne des « affaires ». Au fil des mois des scandales, dont seuls les spécialistes pourraient reconstituer la trame, éclatent : l'affaire Chalier à propos de laquelle les députés envoient un ancien ministre, député lui aussi, Christian Nucci, en Haute Cour – du jamais vu... L'affaire Chaumet qui devient vite l'affaire Chalandon... L'affaire CNCL... L'affaire Prouteau... L'affaire Luchaire...

Chaque fois la politique s'y trouve mêlée et chaque fois l'un des camps pense marquer des points sur l'autre, croit incarner la vertu avant d'être le vice dans le prochain intermède, donne des leçons avant d'en recevoir. Tout se passe comme si ni les uns ni les autres, tout occupés à leur grand nettoyage, ne se rendaient compte qu'ils nourrissent ainsi un anti-parlementarisme toujours latent en France et favorisent les slogans éternels contre les hommes publics.

Dès lors l'année vide que restera 1987, l'année où rien ne s'est joué parce que tout s'est préparé, peut apparaître aussi comme l'année du trop-plein, le trop-plein de ces affaires qui déchirent la classe politique et rendent sceptique l'opinion. Comme il est symbolique ainsi le début novembre : les hommes publics bruissent de l'affaire Luchaire mais se taisent sur un effondrement autrement plus préoccupant, celui de la Bourse. Quel bel exemple de porte-à-faux. Et quelle belle – et triste – illustration de 1987, théâtre d'ombres.

Michel Schifres
Apres avoir été journaliste à Combat, au Monde, et au Quotidien de Paris, Michel Schifres est actuellement directeur-adjoint de la rédaction du Journal du dimanche. Il a notamment publié, en collaboration, l'Élysée de Mitterrand, aux éditions Alain Moreau, et, en 1987, l'Enaklatura, aux éditions Lattès, qui traite de l'ENA et des énarques.