À l'autre extrémité de la palette, on trouve au contraire le groupe immobilier Sari-Seeri, qui, en 1985, a consacré 3,8 millions de francs à l'opération Orsay avant Orsay, en considérant pour sa part le mécénat comme un « acte d'entreprise économique sensé », destiné, dans ce cas particulier, à positionner rapidement l'entreprise en province et diffuser largement son image de marque. Bernard Viard, directeur de la communication et du mécénat de la Sari-Seeri, évoque au sujet du financement « la règle des trois tiers » : 1/3 pour l'organisation et le déplacement des expositions, 1/3 pour les opérations de relations publiques, 1/3 pour la publicité. Il estimait qu'avec 170 000 visiteurs, 145 articles dans 78 publications, représentant 73 millions de lecteurs potentiels, chaque message paru dans la presse avait coûté 6 centimes ! Ce « ciblage » du mécénat tend à se répandre. Certains évoquent même un « triangle sacré » du mécénat : le mécène, qu'on va jusqu'à appeler annonceur, profite d'un événement qu'il décide de financer, afin de toucher un public particulier, soit une cible.

Ainsi l'action de mécénat s'institutionnalise-t-elle au sein des entreprises, dépendant de moins en moins d'un « coup de cœur » du seul dirigeant, si celui-ci existe encore, bien sûr. Par voie de conséquence, la sélection des opérations de création « mécénées » répond de moins en moins au hasard mais plutôt à l'image que chaque entreprise souhaite donner d'elle-même auprès de tel ou tel public. « Les entreprises ne s'engagent plus à la légère », souligne Wandrille Riblier, responsable de Sofres-Sponsoring, l'une des nombreuses structures intermédiaires qui ont surgi pour harmoniser à bon escient l'offre et la demande de mécénat. C'est dans ce but que s'est tenu à Cannes, du 12 au 15 novembre 1986, le « Sponcom », 1er Salon international du mécénat et du sponsoring, afin de rassembler en un même lieu entreprises, agences conseils, créateurs ou organisations culturelles, et multiplier contacts et projets.

Ce flirt désormais poussé entre l'entreprise et la création pose, bien évidemment, la question de l'influence mutuelle entre les deux partenaires. Ici encore, deux écoles s'affrontent. Face aux partisans d'un soutien se résumant au financement et à une simple signature, sans interférence réciproque, d'autres refusent le « on demande entreprise mécène », et souhaitent au contraire, dans la perspective de l'« entreprise créatrice », l'intervention plus directe de cette dernière dans le contenu de l'opération de mécénat. Ainsi, pour Dominique-Alain Perrin, « le mécénat doit faire entrer la démarche de l'entreprise dans la culture ». Pourquoi pas, si celle-ci suppose dynamisme et supplément de créativité ? Toute l'histoire de l'art démontre la fécondité de cette démarche. Méfions-nous cependant d'un enthousiasme trop unilatéral, comme le montrent certains traits trop appuyés du mécénat américain.

Depuis le fameux banquet du Bureau de commerce de New York de 1965, qui posa la question « la culture est-elle l'affaire des affaires ? », les entreprises d'outre-Atlantique ont, en effet, aux côtés de la philanthropie, massivement investi dans le soutien aux arts, en y introduisant leurs techniques de management et de marketing. Ainsi la politique mécénale de Philip Morris s'accompagne-t-elle, sur vingt-cinq ans, d'études régulières et détaillées de l'institut Harris sur l'évolution des « publics » américains à l'égard des arts... Au travers de cet exemple, on pressent bien évidemment le risque d'une trop grande rationalisation, c'est-à-dire d'une adaptation aux goûts éprouvés du grand public. Un soutien exclusivement privé à la création montre peut-être ici ses limites.

Le mécénat en action

Dans les faits, quel type de mécénat trouve-t-on dans notre pays ? On dispose en la matière de statistiques détaillées, établies régulièrement par l'association Admical. En 1986, les arts plastiques (44 p. 100 du nombre des opérations de mécénat) et la musique (24 p. 100) se taillaient la part du lion avec les 2/3 du total, distançant largement le patrimoine (8,5 p. 100), le théâtre et l'édition (4 p. 100) respectivement –, puis la danse, la photographie et l'audiovisuel – 3 p. 100 chacune. Prédominance des arts classiques qui évolue pourtant. De 1983 à 1985, la part des deux premiers secteurs était respectivement de 53 et 35 p. 100, le patrimoine et le théâtre atteignant à peine 4 et 2,5 p. 100. Admical a également évalué, au sein des arts plastiques, le poids financier respectif consacré à l'art « classique » et à l'art contemporain. De fait, malgré des déclarations d'intention en majorité favorables au mécénat de création, les entreprises investissent des sommes deux fois et demie supérieures dans une opération « classique » que dans une intervention en faveur de l'art contemporain. Ce constat serait d'ailleurs à nuancer, en fonction de la personnalité de chaque entreprise. Ainsi, pour l'informatique, IBM mise prioritairement sur des valeurs confirmées et classiques, confortant ainsi son image établie, alors que Apple, franc-tireur par excellence, soutient plutôt déjeunes créateurs. Il est à noter que certaines très grandes entreprises pratiquent le mécénat simultanément dans des disciplines différentes. Elf-Aquitaine subventionne de cette manière à la fois les arts plastiques, la danse, la musique, la conservation du patrimoine et aide des instituts français à l'étranger, tel le Centre culturel franco-norvégien de Stavanger (pour plus de 50 p. 100 du budget annuel), une façon originale d'identifier l'image globale du groupe à celle de la culture française à l'étranger.