Venant d'Allemagne, on a découvert le nouveau Süskind (le Pigeon), mais surtout Trame d'enfance, de Christa Wolf, cette courageuse mémoire du nazisme au quotidien. L'URSS a voulu faire oublier le pogrom de 1958 en réhabilitant Boris Pasternak, l'auteur du Docteur Jivago. On a reconnu en France, parmi les talents des États-Unis, Thomas Pynchon (Vente à la criée du lot 49) ; quant au dernier des grands romanciers d'avant-guerre, Erskine Caldwell, il est allé rejoindre le Petit Arpent du Bon Dieu.

Du Japon nous sont parvenues les voix d'Akutagawa (la Vie d'un idiot, et autres nouvelles) et de Kazuo Ishiguro (Un artiste du monde flottant), qui disent les déchirements individuels dans une société en colossale mutation. Enfin, on dit de John Mary Coetzee, d'Afrique du Sud, qu'il est l'écrivain prophétique de notre temps.

Françoise Devillers

Théâtre

Le théâtre se voit contraint, pour survivre, de se donner des moyens, des héros et un langage nouveaux : malgré Vitez et le Soulier de Satin, le quarantième festival d'Avignon a paru s'essouffler ; à la Comédie-Française, la longue grève des techniciens a refroidi les fidèles, et les Dialogues des carmélites ont été joués hors les murs... Mais les créateurs, tel Patrice Chéreau, sont-ils assez à l'écoute des désirs du public quand ils montent d'austères spectacles dont l'action se réduit à une joute oratoire, comme Dans la solitude des champs coton ? Les spectateurs pourtant sont là quand Hossein leur offre son théâtre généreux, fait d'eux les jurés émus de l'Affaire du courrier de Lyon, ou leur livre le brio fou de Belmondo dans Kean, et quand Jérôme Savary leur donne l'éblouissante fête musicale de son Cabaret.

Mnouchkine a recours au mécénat privé pour soutenir l'Indiade, sa nouvelle épopée historique. Des metteurs en scène annoncent le théâtre du xxie siècle en mêlant cinéma et vidéo : c'est l'ingénieux Manoë, de Marc Hollogne. D'autres créent une imagerie pleine d'inventions : ainsi, ce Marivaux masqué et canaille d'Alfredo Arias, ou ce Georges Dandin géorgique de Planchon. Quand Michel Bouquet est un Malade imaginaire aussi sublime, les classiques se portent bien ; de même, quelle jubilation dans la fantaisie que le Mariage de Figaro à Chaillot, ou Genousie, de Obaldia, avec Danièle Lebrun, à l'Odéon. Et quel chant d'amour devient Polyeucte, à la lumière de Jorge Lavelli...

Des auteurs s'affirment : Claude Rich (Une chambre sur la Dordogne), mais surtout Robert Pinget et son humour désarmant les certitudes humaines.

La Comédie-Française se dote d'un nouveau rideau de scène, flamboyant, œuvre du peintre abstrait Debré. Patrimoine et modernité, c'est, en 1987, la double aspiration du théâtre : celui des Champs-Élysées, par sa somptueuse rénovation, en témoigne.

Françoise Devillers

Littérature française

La baisse de la vente des livres en 1987 est-elle due à une production pléthorique ? à une promotion médiatique qui parle moins du livre que de l'auteur même ? aux phénomènes économiques de l'heure ? Tout à la fois. Et puis, dit-on, les Français lisent peu. Pourtant, certains auteurs gardent leurs fidèles, comme Max Gallo (la Route Napoléon) ou Sulitzer (la Femme pressée). Les romanciers se sont plu à la chronique de ce siècle : En avant, calme et droit, de François Nourissier, le Démon de l'oubli, de Michel del Castillo, et les Passions partagées, de Félicien Marceau, se déroulent pendant la dernière guerre. L'histoire de l'Amérique a aussi suscité quelques sagas : l'Adieu au Sud (Maurice Denuzière), les Pays lointains (Julien Green), et surtout le bel opéra guerrier d'Yves Berger, les Matins du nouveau monde. Comme Lucien Bodard, qui nous a fait encore partager sa passion de la Chine (les Grandes Murailles), les auteurs ont souvent puisé sur d'autres rivages la matière de leurs fictions : ce que l'Italie est à Jean-Olivier Tedesco, dans sa passionnante Symphonie byzantine, Tanger l'est à Daniel Rondeau, qui inaugure ainsi la nouvelle maison d'édition Quai Voltaire.

Tant d'exotisme peut-être, parce que, plus près de nous, il n'est que paradis perdu. En témoigne la nostalgie de nos histoires familiales : le Regard de Vincent, d'Anne Philipe, et Maison de famille, de Denis Tillinac. Quand la littérature a parlé d'amour, elle a donné deux livres désespérés : Ève, de Guy Hocquenghem, et le Visiteur de hasard, de Patrick Drevet. Les auteurs ont aussi célébré des figures féminines : Maryse Condé, avec Moi, Tituba, sorcière noire de Salem, et Angelo Rinaldi dans son roman proustien, les Roses de Pline. Proust, justement, est entré désormais dans le domaine public et les éditeurs se sont mis à la recherche du temps perdu... Les premiers romans ont eu l'humeur drolatique sous la plume féroce ou surréaliste de Geneviève Brisac (les Filles), et de Richard Jorif (le Navire Argo).