Panorama

Introduction

Jamais en si peu de temps (moins de six années), Gauche et Droite n'avaient eu, alternativement, autant de latitude pour appliquer leurs programmes électoraux. On a nationalisé et augmenté les impôts au nom de la « justice sociale », puis on a privatisé et diminué les impôts au nom de l'« efficacité économique ».

En vain. Deux fois, la Grande Illusion ne fut que prologue à lendemains qui déchantent : en 1987, presque autant de chômeurs, la réduction des effectifs étant limitée à 0,5 p. 100 et des déficits traditionnels (commerce extérieur, sécurité sociale, etc.) toujours inquiétants. La Bourse elle-même qui, par les volontés successives de Pierre Bérégovoy et d'Édouard Balladur, semblait terre promise au consensus, n'est plus ce qu'elle fut malgré les efforts de Catherine Deneuve, reprenant, s'il faut en croire Raymond Barre, « un rôle tenu avant elle par le bossu de la rue Quincampoix ».

Que faire ? Et donc, pour un politique, que dire lorsqu'on a eu – d'indiscutables majorités parlementaires aidant – toutes possibilités de réaliser des programmes tirés au cordeau ?

Le décor du théâtre

En vérité, en cette année préélectorale, évoquant une grande répétition, que conte Michel Schifres, jamais mise en scène ne fut si tardive et si poussive. Si, à une inconnue près (François Mitterrand ou Michel Rocard), la distribution est connue, les dialogues, eux, restaient encore à la fin de l'année bien ténébreux. À cinq mois des élections, nul ne pourrait se hasarder à pronostiquer ce que, une fois réinstallé ou installé à l'Élysée, ferait François Mitterrand ou Michel Rocard, Raymond Barre ou Jacques Chirac. Et les seconds rôles eux-mêmes – Jean-Marie Le Pen, André Lajoinie, Pierre Juquin et (bien sûr) Arlette Laguiller – ne semblent nourrir d'autre grand dessein que d'incarner, vaille que vaille, de séculaires et minoritaires sensibilités. « Le programme des candidats tiendra sur un ticket de métro » avant laissé échapper, en début d'année, François Mitterrand. En cette fin d'année 1987, ce pronostic reste vérifié.

Trente-trois experts économistes (dont deux prix Nobel) ont, le 17 décembre, placé l'année nouvelle sous le signe d'un possible « krach boursier aux effets dévastateurs ». Déjà, au cours de l'hiver noir de la Bourse, les privatisations, jusqu'alors grande réussite du gouvernement, ont perdu de leurs charmes. La phrase clef de l'automne – « tant qu'on n'a pas vendu, on n'a pas perdu » – a cessé de rassurer les petits-enfants des souscripteurs des emprunts russes. Bref, de 1987, année morose s'il en fut, on attend pourtant la suite avec intérêt. Que va, en effet, devenir le discours politique si sept années d'alternance, dont deux de cohabitation, ont dépouillé de leurs oripeaux idéologiques les champions du socialisme et ceux du libéralisme ? L'électeur français ratifiera-t-il ces sommeils ?

Autre chose, à plus long terme, risque aussi de peser sur la vie publique : la fin d'une certaine « France profonde » qui, malgré un siècle d'exode rural, orientait encore largement les choix politiques. « Le désert est désormais aux portes des villes », put-on entendre à l'Assemblée nationale lors du débat sur l'aménagement du territoire. Ce qui hier était, avec le Plan, l'autre « ardente obligation » a cessé d'être priorité gouvernementale, même si, comme l'analyse François Grosrichard, la décentralisation qui pourvoit désormais la politique régionale d'une idée directrice, rend les élus plus sensibles aux réalités des régions.

Tendue pour la politique intérieure, la cohabitation fut plus paisible en ce qui concerne la politique extérieure. Trop gaullien, sans doute, pour contester, en ce domaine, la prééminence du président de la République, Jacques Chirac a toujours su laisser François Mitterrand « préciser la pensée officielle » de la France, même si quelques nuances sont apparues entre les deux hommes, notamment en matière de dissuasion, quand le Premier ministre a suggéré que le parapluie nucléaire français pourrait, le cas échéant, abriter l'Allemagne fédérale...

Le Rhin et l'Oder

Il est vrai que, à partir du 8 décembre 1987, Américains et Soviétiques auront trois années pour démanteler toutes leurs fusées intermédiaires, c'est-à-dire d'une portée comprise entre 500 et 5 000 kilomètres. En Europe continentale, de Brest à la frontière soviétique, il n'y aura plus, en principe, d'autres armes nucléaires stockées que celles de la force de frappe française, à l'exception de missiles à courte portée. Puisque c'est pour l'Allemagne fédérale la crainte de voir les États-Unis « découpler » leur défense de celle de l'Europe, c'est aussi nécessairement pour la France, au nom de sa propre défense et de celle de l'Europe, l'heure de s'interroger sur la nature de sa solidarité avec son voisin d'outre-Rhin.