Une inflation, même modérée, à 4 ou 5 p. 100 l'an par exemple, non seulement excède encore le taux moyen de croissance du produit intérieur en termes réels, mais elle risque à tout moment de dégénérer et de préluder à un emballement des prix. Les calculs économiques se trouvent alors complètement faussés, en raison des perspectives de dévalorisation de la monnaie ; une indexation quasi généralisée des prix se produit, chaque acteur cherchant à se prémunir contre l'inflation qu'il anticipe ; l'épargne diminue, l'investissement recule au profit des placements spéculatifs à court terme : de ce fait, la productivité et l'emploi finissent rapidement par décliner. Par conséquent, la désinflation est particulièrement bienvenue, car elle annonce un certain retour à l'ordre, prometteur pour le développement durable du pouvoir d'achat, de l'épargne et de l'investissement productif, et donc pour le soutien de l'activité ainsi que son orientation vers les productions les plus authentiquement demandées par le consommateur.

Lorsque, de surcroît, la désinflation permet à un pays comme la France de réduire son propre différentiel de hausse des prix vis-à-vis de ses partenaires étrangers, ce pays rejoint alors peu à peu le peloton des nations qui bénéficient de la stabilité ; il renforce par là même ses positions dans la compétition internationale. En effet, à taux de change constant, le prix de ses produits, exprimé en yens, en marks ou en dollars, enchérit de moins en moins ; par conséquent, les producteurs du pays considéré défendront mieux leurs parts de marché tant à l'intérieur que sur les marchés mondiaux. Le tableau statistique n° 1 montre que si la France a été très longtemps handicapée par un différentiel d'inflation de plus de 4 à 5 points entre 1981 et 1983, elle l'a fortement réduit depuis lors. Cependant, vis-à-vis de son principal client et fournisseur, la République fédérale d'Allemagne, à l'égard de laquelle les accords monétaires européens de 1979 la lient par une relation de change stable (mais ajustable), la France conserve un écart d'inflation qui amenuise périodiquement sa compétitivité : cet écart était encore supérieur à 2 points en glissement annuel au milieu de 1986. Si la France ne parvenait pas à le réduire, il en résulterait, comme dans les périodes qui ont précédé les quatre dernières dévaluations du franc vis-à-vis du deutsche Mark (1981 à 1986), une accumulation de tensions que seul un nouvel ajustement des parités pourrait, momentanément, résorber.

Le recentrage des priorités

Si la désinflation est donc souhaitable, dans quelle mesure peut-on en attribuer le mérite aux politiques économiques mises en œuvre au cours des dernières années ? La question doit être posée, car, depuis 1979, les pays occidentaux ont modifié leur manière d'agir dans le domaine de l'économie, tout au moins en intention. En effet, l'accélération de l'inflation aux États-Unis en 1978 et 1979, ainsi que dans les premiers mois de 1980, et l'effondrement du dollar à des cours excessivement dépréciés obligèrent ce pays à prendre des mesures d'économies budgétaires et à freiner la croissance de sa masse monétaire. Elles conduisirent le Trésor des États-Unis à emprunter des devises étrangères pour défendre sa monnaie et à accepter à cette fin de payer des taux d'intérêt élevés.

Ces changements auxquels l'Europe a dû s'adapter ont été perçus comme le signal d'un recentrage des priorités économiques au profit de la lutte contre l'inflation. Il est de fait que la politique dite keynésienne de stimulation de la demande globale par une combinaison alliant le déficit public et l'argent à bon marché avait fini par dérégler les mécanismes économiques et par nuire à l'emploi. Frédéric von Hayek y a vu depuis longtemps (dans Prix et Production) une politique de « desperado », plus inspirée par les hommes politiques soumis à la pression de leurs électeurs que par une analyse économique sérieuse. Selon cet auteur, l'inflation nourrie par un crédit excessif et mal distribué (et d'autant plus mal distribué que le dirigisme le voudrait « sélectif ») oriente les ressources en capital et en travail vers des secteurs qui cessent d'être rentables dès que l'inflation cesse de s'accélérer. L'État comble en effet les défaillances de l'épargne volontaire par des moyens de paiement supplémentaires qui, n'étant pas gagés sur une épargne préalable, ne sont pas soustraits à la consommation. Dès lors, l'impulsion donnée à la demande de consommation, soit directement par le relèvement des salaires, soit indirectement à la suite des effets multiplicateurs de l'investissement ainsi financé, augmente les prix et les profits des industries de consommation et ceux des services par rapport à ceux des biens d'équipement. La demande supplémentaire se heurtant à la barrière des stocks de produits et des équipements disponibles, l'inflation accélérée par le crédit facile déprime, à la longue, et l'emploi et l'investissement.