Internationalisation, ensuite, conséquence de la décentralisation. C'est le concept du réseau – le network. Un filet, aux mailles plus ou moins rapprochées, quadrille le territoire, mais les marchés locaux ne parviennent pas toujours à rentabiliser la structure. D'où un impératif : élargir le marché en dépassant les frontières. Cette internationalisation peut passer par des accords entre géants recherchant une synergie commune qui permette de faire chuter les coûts. Un exemple européen : le Consortium européen pour la télévision commerciale, regroupant l'Italien Silvio Berlusconi, l'Anglais Robert Maxwell, l'Allemand Leo Kirch, le Français Jérôme Seydoux, et destiné dans un premier temps à travailler sur le satellite de télévision directe TDF 1, et à diffuser à destination de l'Europe. La concession a été annulée par le gouvernement Chirac, mais la structure demeure. La synergie est évidente : la production d'images coûte autant de fois moins cher qu'il y a de partenaires, avec une certitude de diffusion dans autant de pays.

Douze groupes déterminés

L'audiovisuel constitue l'objectif prioritaire de ces géants de la communication. Pour lui, et par lui, ces douze groupes modèlent leurs structures et déterminent leurs stratégies à court terme.

Certes, ces groupes ont des dimensions variant du simple au vingtuple. Mais les plus petits sont souvent les plus agressifs. Ils viennent d'origines diverses. Soit de l'édition et de l'écrit – avec comme priorité, désormais, l'audiovisuel –, soit de l'audiovisuel – avec comme stratégie marginale l'écrit et le souci de synergie avec les programmes télévisés (information) ou avec les réseaux diffuseurs d'images (valorisation).

Enfin, ces groupes peuvent être classés en quatre catégories :
– ceux qui se trouvent plus ou moins sous la coupe d'un État, et donc soumis à sa politique. C'est le cas d'Havas ou de la Compagnie luxembourgeoise de télévision (CLT) ;
– ceux qui, désormais, se sont institutionnalisés, tels que l'Allemand Bertelsmann ;
– les groupes à dimension « charismatique », sous la direction d'un homme qui incarne la structure : Maxwell, Murdoch, Berlusconi ;
– et les « prétendants » : Hersant, Hachette, Goldsmith, Leo Kirsh, Carlo De Benedetti...

Le premier groupe de communication européen est devenu en une quinzaine de jours le numéro un mondial : Bertelsmann. Début septembre, le groupe ouest-allemand qui détenait, aux États-Unis, 25 p. 100 du capital de la société RCA-Ariola, numéro trois mondial du disque, filiale de General Electric, achète la totalité du capital. L'accord de vente comprend également la cession de RCA Record Club, de RCA Video Productions et de RCA Records Spécial Products. Mais le groupe de la famille Mohn n'en reste pas là. Quelques jours après cette acquisition majeure, Bertelsmann rachète la totalité de la maison d'édition américaine Doubleday Co. Ces deux reprises augmentent le chiffre d'affaires annuel du groupe de trois milliards de DM... Bertelsmann, déjà leader mondial du club de livres, possédait sur le territoire américain, entre autres, les livres de poche Bantam Books.

L'écrit et le développement à l'étranger sont dans la tradition même de ce groupe, qui réalise plus de 50 p. 100 de son chiffre d'affaires consolidé à l'extérieur de la République fédérale d'Allemagne. La loi anticoncentration allemande devenant un frein à son expansion, le développement sur des territoires extérieurs est indispensable. Ce qui n'a pas empêché le groupe de lancer, toujours en septembre, son premier quotidien à Hambourg, avec comme arrière-pensée de briser le monopole de la presse Springer dans cette région. Ce développement passe aussi par la France où œuvre une filiale de Grüner-Jahr (Stern, Brigitte...), Prisma Presse, dirigée par Axel Ganz, homme de lancements de presse sous-tendus par une démarche marketing pointue. Autant de lancements, autant de succès (Geo, Prima, Femme Actuelle, Télé Loisirs, Ça m'intéresse). L'écrit, l'impression, l'édition, la distribution sont des activités parfaitement intégrées. La diversification est d'abord passée par l'édition musicale, puis plus timidement par l'image, via la fabrication de cassettes et de disques vidéo. Quant à l'audiovisuel, il est placé sous la responsabilité de l'UFA, filiale commune avec Grüner-Jahr (que Bertelsmann contrôle à 75 p. 100). Trois directions d'investigation : la production, l'édition et les réseaux. Mais le groupe, qui a fêté la même année ses 150 ans, n'a qu'un savoir-faire tout relatif. Alors, pour chaque projet, il s'associe. En 1984, c'est le lancement de RTL-Plus en Allemagne, qui vise une place sur le satellite TVSat, afin de toucher les foyers non câblés. Cette activité télévisée se fait en association (39 p. 100) avec la CLT, dans le capital de laquelle Bertelsmann a également pris une participation, au cours du 3e trimestre de la même année, terminant ainsi l'année 1986 en beauté. La télévision devient sa priorité, même s'il n'y consacre que 2 p. 100 de son chiffre d'affaires. Mais, ramené à la totalité, c'est déjà considérable pour un groupe qui a multiplié sa rentabilité par cinq en cinq ans, alors que le chiffre d'affaires considéré sur la même période progressait de moins de 50 p. 100.

La fin des initiatives individuelles

La CLT est un petit groupe de communication, mais c'est le plus agressif et vraisemblablement celui qui possède le plus de savoir-faire en matière d'audiovisuel. Pour devenir un diffuseur à l'échelle européenne, il lui est indispensable de s'implanter en France, mais la CLT a été systématiquement écartée de tous les montages, que ce soit du côté des télévisions privées ou du satellite. La tendance pourrait s'inverser avec la nouvelle donne audiovisuelle. En attendant, un certain retard a été pris. La CLT est donc présente aujourd'hui en Belgique et en Allemagne, où s'assouplissent progressivement les contraintes juridiques et réglementaires.