Ajoutons à ce panorama des mouvements insurrectionnels « intégristes » islamiques quelques actions sporadiques remarquables : ainsi, l'occupation « terroriste » de la mosquée de La Mecque à la fin de 1979, et les menaces de pèlerins iraniens armés lors du Hādjdj de 1986. Apparemment, un groupe de pression « intégriste » islamique peut donc, dans certaines circonstances, passer à des actions insurrectionnelles, particulièrement dans les États où il est réprimé.

Idées et revendications des islamistes

L'action des islamistes est guidée par des idées largement répandues et s'exprime par des revendications bien connues. Nous présentons d'abord celles des groupes extrémistes les plus visibles et les plus dangereux à première vue. Puis nous rappellerons l'utopie islamique des groupes historiques et son influence récente sur l'appareil international de l'islam actuel.

Les fondements de l'action des mouvements extrémistes

Les idées et les actions extrémistes se résument partout ainsi : il est urgent d'établir un pouvoir islamique par la force, par une guerre sacrée intérieure contre le pouvoir impie en place et, sous forme révolutionnaire mondiale, contre les soutiens impies, « ignorants », de ce pouvoir activement contraire à l'islam. L'état le plus précis de ces programmes islamistes est dressé dans un opuscule publié par Abd al-Salām Farag, qui a été considéré comme le « cerveau de l'attentat » contre Sadate en 1981 et comme l'instigateur du « complot khomeyniste » au Caire et à Assiout, avant d'être condamné à mort au Caire et pendu en 1982. L'écrit de Farag est, en grande partie, une mosaïque de citations de Ibn Taymiyya (mort en 1328), auteur considérable qui a quelque peu inspiré le réformiste Rachīd Riḍa (mort en 1935) et le courant wahhābite-saoudien. Ce que reproche foncièrement ce petit livre au public musulman instruit, c'est de taire, ou d'omettre, le devoir de contestation, violente s'il le faut, d'un pouvoir politique infidèle à l'islam. Cet opuscule évoque le passage de la théorie, elle-même marginale en tradition musulmane, du takfīr (excommunication) et de la guerre musulmane (djihād, ou, mieux, qitāl, terme coranique), interne et révolutionnaire, à celle du meurtre (gatl) individuel et sélectif. La grave erreur de cet écrit, du point de vue de la pratique du droit musulman, c'est qu'il suit des avis autorisés d'un juriste musulman du xive siècle, à Damas, dans le contexte de l'époque (la menace militaire mongole), et non des avis de grands juristes musulmans actuels, en réponse à des situations présentes.

Pour Farag, l'impiété exige une action révolutionnaire islamique. C'est là le fruit sommaire et utopique, mais mobilisateur, d'une lecture littérale, rapide, du Coran et de certains commentaires. L'ignorance anté-islamique (Djāhiliyya) des musulmans d'aujourd'hui et, surtout, de leurs gouvernants, déclarés idolâtres, exige la guerre (qitāl) et donc le meurtre (qatl), car la guerre est une collection de meurtres. Donc, l'ordre coranique : « Tuez les idolâtres où qu'ils se trouvent ! » (Coran, IX, 5), s'applique, pour les « intégristes » violents, de nos jours, tout de suite, à commencer par les pays dits musulmans.

Le phénomène religieux musulman comme courant politique militant, ou du moins revendicatif, s'exprime même au niveau de l'appareil mondial de l'islam, comme en témoignent des documents officiels récents : l'un est la Constitution islamique modèle, adoptée en décembre 1978 par le 9e congrès des ulémas au Caire et complétée par le Conseil islamique mondial en 1983 ; l'autre est la Déclaration islamique universelle des droits de l'homme, promulguée à Paris, à l'UNESCO, le 19 septembre 1981, par le Conseil islamique mondial.

Les activistes musulmans, les « islamistes », ne se contentent pas de désobéir aux chefs fautifs en certaines matières fautives, comme le permettent la Constitution islamique (article 45), et la Déclaration (§II. b1 et XII. c1). Ils sont convaincus du devoir d'une révolution politique et violente.

L'influence des mouvements « intégristes » historiques

Les mouvements « intégristes » historiques sont beaucoup plus proches des idées actuelles de l'appareil de l'islam que des idées des groupes extrémistes récents. Au cours des deux dernières décennies, les idéologues radicaux marquants de cette tendance sont l'Égyptien Sayyid Quṭb (mort en 1966) et le Pakistanais Abūl-«Alā' Mawdūdī (mort en 1979) ; ces penseurs ont professé des opinions plus avancées que celles de leurs aînés, les Frères musulmans des années 30 et 40. Les groupuscules radicaux, tels que Taḥrīr, (Libération islamique) Takfīr (Anathème), Djihād (Guerre sacrée), Tawḥīd (Unification), ne font-ils que suivre les idées et programmes de Mawdūdī et de Quṭb ? En réalité, il y a une grande distance entre la casuistique de Quṭb, réfléchie et cultivée, et celle des « illuminés » actuels qu'on nomme souvent les « quṭbistes ». Ce qui est exact, c'est que l'idée qutbienne de takfīr actif, esprit d'excommunication générale et ferment d'un Djihād comme action révolutionnaire interne, a inspiré les dissendences extrémistes actuelles.