Dans une « action urgente » datant du 27 février, Amnesty International exprimait effectivement auprès du gouvernement iraqien et auprès du gouvernement français son inquiétude sur le sort des deux exclus, Hamza Fawzi al-Rubai et Muhammad Hassan Khair al-Din. Dans ce texte, Amnesty recommandait l'envoi de télégrammes aux autorités iraqiennes. L'un des paragraphes était ainsi rédigé : « Demandant confirmation des informations selon lesquelles l'un des deux hommes aurait été exécuté et l'autre risquerait l'exécution à tout moment, insistez pour que, dans ce dernier cas, la condamnation à mort soit commuée ».

Dans une partie de la presse, les informations, dont Amnesty International demandait confirmation, ont été données sans utilisation du conditionnel.

Face aux critiques, Amnesty faisait notamment observer : « L'annonce non confirmée de l'exécution d'un prisonnier iraqien a été faite dans les médias avant qu'Amnesty International fasse mention d'un tel événement. L'organisation n'a jamais dit qu'un prisonnier avait été exécuté, mais a signalé qu'elle cherchait à vérifier une nouvelle non confirmée... L'assassinat présumé de Michel Seurat a été annoncé cinq jours après la déclaration catégorique du gouvernement iraqien selon laquelle aucun des prisonniers iraqiens n'avait été tué... Nous n'avons fait que notre strict devoir en faisant état des renseignements alarmants que nous avions reçus et qui, fort heureusement, se sont révélés faux... »

Quant au reproche, déjà fort ancien, adressé à l'équilibre politique qu'Amnesty pousse jusqu'à la symétrie, l'organisation reste ferme sur ses principes. « Ce sont eux, affirme Chantai de Casablanca, chargée des relations avec la presse pour la section française, qui assoient la réputation d'intégrité de notre organisation, ses succès également. Ce sont eux qui font que nous pouvons nous en prendre à tous les pays, pro-américains ou pro-soviétiques. »

Le rôle de l'opinion publique

Depuis l'article de Peter Benenson, il y a vingt-cinq ans, l'activité d'Amnesty International, qui lui valut, en 1977, le prix Nobel de la Paix, est liée à toutes les grandes batailles pour la défense des droits de l'homme : Amnesty a soutenu la fondation du Comité des droits de l'homme pour Sakharov (1970) et les accords d'Helsinki (1975). L'une des premières démarches fut faite par Sean Mac Bride, à Prague, en faveur de Mgr Beran, et le premier « prisonnier de l'année » fut désigné : le disciple pakistanais de Gandhi, Abdul Ghaffar Khan. Puis ce furent les interventions contre la torture dans la Guinée de Sekou Touré, contre la répression britannique après les événements d'Aden (1966), la Grèce des colonels (1967), à nouveau contre la Tchécoslovaquie (1968), contre les internements préventifs en Irlande du Nord (1971), le coup d'État au Chili, les « cages à tigres » au Sud-Viêt-nam et les « escadrons de la mort » au Brésil (1973), les agissements de Bokassa et d'Amin Dada, la police secrète Khad dans l'Afghanistan nouvellement occupé (1979), les disparitions en Amérique du Sud, la mort par injection avec appel aux médecins, l'état d'urgence en Pologne (1981). Mais il faudrait citer aussi, pêle-mêle, la Turquie, les Tamouls du Sri Lanka, les Khmers rouges, les vagues d'exécution en Chine, Timor...

Il est vrai que pendant ce temps-là des pays de dictature se sont ouverts à la démocratie (Argentine, Uruguay...). Plus de 80 nations ont aujourd'hui ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui a pris effet le 23 mars 1976. Fondé sur « la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine », ce texte affirme les libertés de conscience, d'expression, d'association.

Plus de 40 gouvernements ont également signé la Convention des Nations unies contre la torture, adoptée le 9 décembre 1975.

Amnesty International et tous les mouvements qui militent pour les droits de l'homme peuvent s'appuyer sur de tels textes, mais la réalité est loin de ces engagements. Face à l'immensité de la tâche, face aussi aux critiques qui lui sont adressées de l'extérieur et de l'intérieur, Amnesty, et notamment la section française, s'interroge à la fois sur ses méthodes, ses structures et sur les modes d'action à entreprendre. Née dans la vieille Europe, comment cette organisation peut-elle atteindre une dimension plus universelle et s'ouvrir davantage aux pays du tiers monde, à l'Afrique, à l'Asie ? Court-elle le risque de rester plus occidentale ? Comment, par ailleurs, pourra-t-elle garder et renforcer toute sa crédibilité en pénétrant davantage dans les pays les plus fermés, notamment les pays de l'Est ?

En dépit des difficultés, des polémiques, voire des crises, l'intuition profonde de Peter Benenson garde toute sa force : la pression de l'opinion publique est essentielle dans la longue bataille pour les droits de l'homme.

Noël Copin
Journaliste, Noël Copin, est directeur de la rédaction de la Croix-l'Événement, il débuta en 1955. Il a été chef du Service politique et rédacteur en chef d'Antenne 2 (1977-1982).