Françoise Devillers

Littérature mondiale

Le prix Nobel de littérature a été décerné à l'écrivain nigérian Wole Soyinka, et le prix Nobel de la Paix, à Elie Wiesel, militant des droits de l'homme, pour une œuvre qui, depuis ses origines, puise sa source dans l'holocauste juif. Une des disparitions les plus ressenties de l'année fut celle de Jorge Luis Borges, dont le dernier recueil de poèmes Los Conjurados est paru en 1985. Les littératures d'Amérique latine sont de plus en plus au goût du public : leur univers baroque et visionnaire s'est retrouvé récemment chez Carlos Fuentes (le Vieux Gringo), Autran Douardo (l'Opéra des morts), Juan Carlos Onetti (Ramasse-vioques).

Fayard a publié la traduction simultanée de trois ouvrages de l'écrivain polonais Milosz (prix Nobel 1980), l'un des plus clairvoyants de notre temps, dont les Visions de la baie de San Francisco pourraient présager une reconnaissance publique enfin méritée. Le best-seller de l'année a été la Ferme africaine de Karen Blixen, succès dû au film que Sydney Pollack a tiré de l'œuvre.

Vient ensuite Tête de Turc de Gunther Wallraff, récit qui plonge dans la société immigrée turque en Allemagne ; le livre a atteint le record mondial de deux millions de ventes en six mois. Toujours en Allemagne, un des livres les plus remarqués fut le dernier ouvrage de Dürrenmatt, Justice, et un des plus loués par la critique celui de Patrick Susskind : le fantasque Parfum, histoire d'un meurtre. L'Angleterre nous a donné Un pur espion de John Le Carré, et, dans le même esprit du roman d'aventures, Une créature de rêve de Patricia Highsmith et Ne pas déranger de Muriel Spark. Enfin, Œil de chèvre, chronique de Leonardo Sciascia, l'Homme qui regarde de Moravia, le Papillon de Dinard d'Eugenio Montale ont rappelé au public les valeurs sûres de l'Italie.

Françoise Devillers

Théâtre

En période de crise, le théâtre est un loisir de luxe et l'État ne veut plus être son unique bailleur de fonds. Les producteurs mettent alors en jeu les grands moyens pour établir la communication avec le public : par exemple, de spectaculaires décors : un avion écrasé sur la scène pour B 29, d'Alain Page, ou la reconstitution de docks sur le plateau de Nanterre pour Quai Ouest. Voici aussi qu'après le règne des metteurs en scène s'ouvre celui, non moins puissant, des acteurs : Marais et Feuillère au Montparnasse, Léotard dans American Buffalo et Serrault dans l'Avare.

Pourtant, on perçoit un retour au plaisir du texte : de bons auteurs représentent avec humour et finesse les médiocrités et pacotilles des gens d'aujourd'hui : Tilly et ses Trompettes de la mort, Vinaver et ses Voisins, Marie Laberge et l'Homme gris ; Daniel Benoin décrit la danse de mort de Ghetto. Un engouement pour les adaptations nous a valu quelques événements : le Mahabharata, de Peter Brook, épopée des dieux indiens, Madame de Sade, d'après Mishima, adapté par André Pieyre de Mandiargues, Jours tranquilles en Champagne, une transcription scénique des sublimes lettres d'amour d'Héloïse et Abélard au théâtre de l'Aquarium et Elvire-Jouvet 40, par Brigitte Jacques.

Le grand public aime la féerie (la Tempête de Shakespeare, par Alfredo Arias, au festival d'Avignon) et le joyeux et inventif Opéra de Quat'sous, de Brecht, mis en scène par Giorgio Strehler, qui partage maintenant le Théâtre de l'Odéon avec Jean Le Poulain, le nouvel administrateur de la Comédie-Française. C'est ainsi que les classiques illuminent encore notre aujourd'hui plein de doutes. Alors que la Compagnie Renaud-Barrault fête ses 40 ans, un des plus vieux théâtres de Paris, celui de la Gaîté-Lyrique, s'effondre sous les bulldozers, tandis qu'on construit l'immense théâtre musical de la Bastille, qui abritera nos rêves de demain.

Françoise Devillers

Architecture

Mardi 18 février 1986, à la cité des 4 000 de La Courneuve : en 8 secondes, les 70 000 tonnes de béton armé de la barre Debussy s'abattent sur le sol sous l'effet de la dynamite des démolisseurs. À un an du centenaire de la naissance de Le Corbusier, cette explosion spectaculaire peut prendre valeur de symbole. En 1972, à Saint-Louis, les postmodernes avaient en effet vu, dans une démolition identique, l'acte de décès de l'architecture moderne. En France, près de quinze ans plus tard, avec la crise, les préoccupations de la profession semblent moins théoriques et ses interrogations portent sur la nature des mesures qui seront prises en faveur d'une relance du marché de la construction. Le projet de loi Méhaignerie, présenté en juin, satisfait plutôt les professionnels. Cohabitation oblige, les « grands projets du Président », critiqués en leur temps par la nouvelle majorité, sont confirmés, à quelques coupes budgétaires près.