En ce qui concerne l'évaluation des risques à la suite d'un accident nucléaire et les décisions relatives à la protection de la population, les événements qui ont suivi l'accident de Tchernobyl ont démontré, sans doute possible, qu'un progrès reste à accomplir quant à l'uniformisation des normes, la cohérence des méthodes et la coordination des décisions. Ce travail est amorcé sous l'égide de l'Agence de Vienne, mais il appartient aux différents pays de le mener à bien.

Les principes et les méthodes de la sûreté des réacteurs n'ont pas été remis en cause par l'accident du 26 avril. Mais l'importance du facteur humain, déjà mise en évidence lors de l'accident survenu aux États-Unis en 1979, a été une nouvelle fois soulignée.

Le type de réacteur RBMK étant particulier à l'URSS, les enseignements de l'accident dans le domaine de la conception et de la technologie des centrales n'ont qu'un intérêt limité pour les autres types de réacteurs. Ainsi, le principe de la défense en profondeur est appliqué différemment dans les réacteurs RBMK. Les deux premières barrières sont bien, comme dans les autres types de réacteurs, la gaine du combustible et les tuyauteries et appareils du circuit de refroidissement, mais la troisième barrière est constituée de zones de confinement séparées les unes des autres et non pas d'un bâtiment abritant l'ensemble du réacteur et du circuit. De sorte que le réacteur de Tchernobyl se trouvait placé dans un volume de confinement environ cent fois plus réduit que celui d'un réacteur de même puissance du type adopté en France. Une comparaison directe de l'efficacité des deux types de confinement n'est donc pas possible.

Au-delà de ces enseignements qui sont parmi les plus évidents, il en est deux autres, qui apparaissent peut-être moins nettement, mais dont la portée et l'urgence sont sans doute plus grandes. Il s'agit d'abord de la prise de conscience de la solidarité de fait de tous les pays en face d'une catastrophe nucléaire. Tout habitant de la planète sait maintenant qu'il peut être atteint. Désormais, aucun pays ne peut se satisfaire des efforts qu'il fait pour rendre plus sûres ses centrales nucléaires. Il est nécessairement concerné par la sûreté des centrales de tous les pays. Et le style de coopération qui a été pratiqué jusqu'ici ne peut plus suffire. Il s'agit maintenant d'acquérir un nouvel état d'esprit, celui d'un partage nécessaire des connaissances et d'une mise en commun des efforts. L'Agence de Vienne travaille dans ce sens quand elle met au point deux accords internationaux, l'un sur la notification rapide et générale d'un accident nucléaire, l'autre sur l'assistance mutuelle en cas d'accident, et quand elle établit une liste de sujets de coopération dans le domaine de la sûreté. Mais son action devra être soutenue et complétée par l'engagement sans réticence de tous les pays.

Nucléaire et opinion publique

Un autre enseignement important doit être tiré des événements consécutifs à l'accident de Tchernobyl. Il s'agit des rapports entre l'opinion publique et les autorités responsables des décisions qui concernent la sécurité des personnes et des biens. On peut dire que, dans les jours qui ont suivi l'accident, toutes les erreurs possibles ont été commises : hésitations, contradictions entre les déclarations successives, manque de cohérence des mesures prises en France et à l'étranger, recours au système de la conférence de presse qui introduisait un élément subjectif de plus entre les autorités et le public. Tout a contribué à susciter l'inquiétude et la méfiance de l'opinion.

On dit souvent que le problème de la communication entre les autorités et le public est un problème très difficile dans le domaine nucléaire, car le sujet suppose des connaissances que la plupart des gens ne possèdent pas. L'argument est très mauvais. La confiance du public dépend avant tout de la conviction des personnes qui l'informent. S'il fallait avoir fait des études médicales, peu de gens confieraient leur vie à un médecin. Cependant, la confiance ne s'accorde pas d'emblée, elle a besoin d'un peu de recul pour reconnaître la compétence et le sérieux des propos, car les faits doivent confirmer les affirmations.

Améliorer la confiance entre les autorités et les citoyens, c'est une tâche dont l'intérêt ne peut être nié par personne. Il est infiniment souhaitable que le choc provoqué par la catastrophe de Tchernobyl encourage à l'entreprendre, comme à tenir compte également de tous les autres enseignements qui peuvent être tirés de cet événement tragique.

Georges Juillet
Ancien élève de l'École polytechnique, ingénieur spécialisé dans le domaine de l'énergie nucléaire, Georges Juillet s'est particulièrement consacré à l'étude des systèmes de protection.