Si la NASA voit ainsi son rôle diminué et la politique qu'elle menait depuis une dizaine d'années désavouée, c'est que les conclusions de la commission d'enquête sur l'accident de Challenger nommée par la Maison-Blanche sont accablantes pour l'agence spatiale américaine. Présidée par William Rogers, ancien secrétaire d'État, réputé pour sa probité, et comprenant 12 membres dont l'ancien astronaute Neil Armstrong, le prix Nobel de physique Richard Feynman et le pilote d'essai Charles Yeager, premier homme à avoir franchi le mur du son et à avoir volé à mach 2, la commission remet son rapport au président Reagan le 6 juin, après quatre mois d'enquête serrée, de consultations et d'interrogatoires.

Comme on l'avait rapidement supposé, il s'avère que l'accident a été provoqué par la rupture d'un joint d'étanchéité sur l'un des deux propulseurs d'appoint à poudre (ou boosters), chargés d'arracher la navette à la Terre pendant les deux premières minutes du vol. Un flux de gaz brûlants s'est échappé par la fissure, scindant progressivement le propulseur en deux morceaux dont l'un est venu finalement heurter le gros réservoir extérieur de la navette. Ce dernier, véritable bombe volante renfermant quelque 700 tonnes d'oxygène et d'hydrogène liquides, a alors explosé, provoquant du même coup la désintégration de l'orbiteur.

L'enquête a permis toutefois d'établir la lourde responsabilité de la NASA dans la catastrophe. Depuis plusieurs années, les responsables du programme Shuttle connaissaient la fragilité des joints des boosters et, tout en sachant que la défaillance d'un seul d'entre eux serait fatale, n'avaient pris aucune disposition pour corriger ce défaut (et d'autres). Au contraire, pour augmenter la charge utile, la décision a été prise d'alléger les propulseurs auxiliaires tout en renforçant la puissance de leur moteur, au risque de les fragiliser encore davantage. Avec le nombre croissant de missions réussies, les consignes de sécurité ont été de plus en plus allégées. Tout était mis en œuvre pour accélérer coûte que coûte le rythme des vols, afin de soutenir la concurrence de plus en plus vive exercée par le lanceur européen Ariane. Le 28 janvier, l'ordre de lancement a été donné malgré l'avis défavorable formulé tant par les ingénieurs de la firme responsable de la fabrication des boosters que par les dirigeants de Rockwell, le principal constructeur de la navette, en raison des risques de déprédation causés par le gel. En définitive, la catastrophe de Challenger est imputable à une somme de malfaçons techniques, de négligences humaines et de fautes d'organisation.

La NASA prévoit la reprise des vols le 18 février 1988 avec la navette Discovery. La perte de Challenger et la suspension des vols pendant deux ans vont entraîner l'annulation de 86 missions par rapport au calendrier établi avant la catastrophe. Alors que 145 vols étaient prévus pour la période 1986-1992, la NASA n'envisage plus désormais que 59 vols durant la même période. La prévision antérieure était, au demeurant, très optimiste, car elle était fondée sur l'hypothèse de 24 vols annuels à partir de 1989, alors qu'en 1985, l'année où le rythme des vols a été jusqu'ici le plus élevé, 9 vols seulement ont pu être effectués sur les 15 prévus.

Ce bouleversement du calendrier prévisionnel des vols s'accompagne d'une révision complète de la stratégie d'utilisation de la navette. Pendant les trois premières années qui suivront la reprise des lancements, la moitié des vols seront militaires. Le programme scientifique est sérieusement réduit : parmi les 86 vols perdus d'ici à 1992, 31 devaient être principalement consacrés à la science. Seules 19 missions scientifiques pourront finalement être exécutées durant ce délai. À l'exception de quelques rares missions jugées prioritaires, notamment le Télescope spatial (dont le lancement n'a cessé d'être reporté depuis 1983 pour des raisons diverses), le lancement de la plupart des satellites scientifiques prévus subira plus de trois ans de retard.