L'acte I de la cohabitation s'achevait. Jusque-là, elle avait été, entre François Mitterrand, Jacques Chirac et Raymond Barre, un jeu feutré d'observations, de silences lourds de sens, de discrètes réprobations dont Michel Schifres retrace la chronique. Mais en cette fin d'année, et seulement dix mois après que la gauche eut subi un très lourd échec électoral, bien des cartes semblent s'être redistribuées en quelques jours. La solidarité gouvernementale n'a pas été sans faille pendant la crise ; et, plus que Matignon (où l'on est contraint de réagir au jour le jour à l'événement), l'Élysée (où l'on peut garder le silence tant que ne se dévoilent pas les enjeux d'un conflit) est apparu comme la tranchée la mieux protégée pour mener cette subtile guerre de position qu'est, en attente de l'élection présidentielle, la cohabitation...

Dans cette tourmente de fin d'année, un fragile consensus – ô combien indispensable, pourtant – finit de s'effriter : celui qui, un temps, avait uni les politiques de tous bords dans la réprobation unanime du terrorisme. Dans un septembre noir, où l'horreur avait culminé le mercredi 17, rue de Rennes, les partis avaient su s'élever à la dignité tranquille que manifestait alors la population. Pour quelques semaines furent oubliés les démons du « sécuritarisme politique », ceux-là mêmes qui, en d'autres époques, avaient poussé la gauche à scander « Giscard démission » après l'attentat de la rue Copernic, puis la droite à faire du garde des Sceaux, Robert Badinter, le « complice » d'un anonyme tueur de vieilles dames. Las, de petites phrases en petites phrases, le brasero politicien allait à nouveau s'enflammer, comme l'explique Robert Soie dans Vivre avec le terrorisme. Il est vrai qu'enchevêtrée dans les négociations menées pour la libération d'otages français au Liban, largement subordonnée aux engagements politiques de la France au Moyen-Orient, souffrant de l'absence d'un front commun des pays occidentaux, la lutte contre le terrorisme international semble, tant en France qu'à l'étranger, se mener (au moins) autant par des déclarations tonitruantes que par des actes concrets...

L'atlas de l'horreur

Si, entre 1968 et 1975, le terrorisme avait fait 800 victimes dans le monde libre, ce chiffre s'est multiplié par cinq au cours des dix années suivantes. Georges Besse, président de la Régie Renault, un employé municipal de Provins, tué lors d'un attentat qui visait l'ancien ministre Alain Peyrefitte, seront, en France, les dernières victimes de ce long martyrologe. Plus grave : c'est devant un tribunal français, à Paris même, que le terrorisme remporte, le 3 décembre, une triste victoire. Face à la menace d'un inculpé, Régis Schleicher (« Je voudrais savoir combien de temps il est prévu de protéger les jurés »), un jury populaire s'évapore...

Un autre procès – qui, pour se dérouler à Bangui, en Centrafrique, n'en passionne pas moins les Français – montre toutefois que même le pire et le plus puissant des terrorismes, le terrorisme d'État, peut, parfois, avoir à répondre de ses crimes. Peu d'observateurs se souviennent que ce furent les inlassables dénonciations de ses crimes par Amnesty International qui furent à l'origine de la chute de Jean Bédel Bokassa. Mais cette Internationale de la justice et du droit conjugue souvent discrétion et efficacité. Cependant, chaque année, son rapport recense les atteintes aux droits de l'homme commises dans le monde entier. C'est, rédigé dans un style volontairement dépouillé, le terrible – et parfois fastidieux – « bilan d'activité » de toutes les dictatures du monde : 137 pendaisons en Somalie, 5 000 personnes placées en « rééducation » au Laos, 470 exécutions en Iran, etc. Un atlas de l'horreur qui n'épargne que très peu de pays.

Une légère note d'optimisme, toutefois, dans le rapport daté de 1986 : « Dans le monde entier, la force et l'influence des organisations de défense des droits de l'homme ne cessent de croître. » Il est vrai qu'au cours de cette dernière décennie, la démocratie a conquis ou reconquis de nombreux pays d'Amérique latine et, cette année même, à Haïti et aux Philippines, deux dictatures ont été renversées. Amnesty International – cette immense chaîne de solidarité qui compte désormais plus de 500 000 membres dans le monde – est pour beaucoup dans ces évolutions. Ses campagnes acharnées pour la libération des prisonniers d'opinion, pour l'obtention de procès équitables pour les détenus politiques, pour l'abolition de la torture et de la peine de mort ont, en effet, contribué à déstabiliser de nombreuses dictatures.