Jacques Chirac a confié une mission de réflexion sur ces nouvelles activités à François Dalle, l'ancien PDG de l'Oréal. François Dalle entend trouver « des solutions transitoires, et même artificielles », l'essentiel étant de « ne pas laisser les jeunes dans la désespérance »... Sans attendre les résultats de la mission Dalle, le ministre des Affaires sociales n'a cessé, durant l'automne de 1986, de répandre ses propres idées. Le père des « petits boulots », comme il n'aime guère qu'on le surnomme, veut aider à « l'émergence de services peu qualifiés, et peu soumis aux contraintes de la productivité ». Dans trois domaines : les activités d'aide aux personnes âgées et aux familles, notamment à domicile ; les activités périphériques au secteur social ; les activités aux marges des entreprises. Autant de potentialités d'emplois pour des activités dont la demande solvable n'est pas suffisante pour qu'il y ait embauche dans les conditions normales du marché. Dans cette optique, le gouvernement étudie des mesures spécifiques qui pourraient voir le jour au début de 1987. Des contacts sont pris avec la presse nationale et régionale pour envisager des systèmes de portage de journaux à domicile. Avec une réduction partielle des charges sociales, les professionnels estiment qu'ils pourraient susciter des activités pour 5 000 personnes. D'autres contacts sont entretenus avec le secteur de la vente à domicile. Et les services du ministère de l'Économie élaborent des projets de déductions fiscales, ou d'exonérations partielles de charges sociales, pour favoriser l'emploi à domicile. Cette démarche est aussi une manière de blanchir le « travail au noir », de plus en plus répandu dans les économies occidentales, et même en URSS. L'OCDE estime que la production légale non déclarée, expression administrative définissant le « travail au noir », représente entre 2 et 4 % de la production totale dans les pays membres de l'organisation.

Après 1986, année de la flexibilité au service de l'emploi, l'année 1987 symbolisera-t-elle le déclin d'une certaine forme d'emploi salarié, stable, à plein temps, au profit de l'émergence d'activités nouvelles dont le statut reste à trouver ? C'est sans doute le souhait du pouvoir politique, qui a préparé l'opinion publique à cette réflexion, dans une optique bien déterminée : tout plutôt que le chômage.

Mais ce mode de raisonnement n'est pas sans dangers. Quand la CGT dénonce les risques d'une « tiers-mondialisation » de l'économie française, elle se fait l'écho de certaines craintes du monde salarié, qui dépassent largement l'audience de la centrale ouvrière. Les « nouvelles activités » ne comportent-elles pas des risques sérieux de dérapages, tant pour la vie économique que pour les salariés ? Certains craignent un glissement des emplois « normaux », qui auraient été créés de toute façon, vers ces formes d'activités bénéficiant de facilités sociales et fiscales. Quant aux futurs titulaires des « petits boulots », de quel statut juridique et social relèveront-ils ? Faut-il, au nom de la lutte contre le chômage, favoriser l'instauration d'une société duale ? Autant de questions que l'évolution du chômage en France au cours de ces dernières années amène à se poser, et dont la réponse détermine, à terme, un véritable choix de société.

Delphine Girard
Journaliste, Delphine Girard est chef du service social de la Tribune de l'économie. Docteur en droit public, ancienne élève de l'Institut d'études politiques de Paris, elle entre en 1974 à la rédaction de la Vie française, où elle a en charge pendant dix ans les problèmes sociaux, et notamment l'emploi, avant d'être appelée, en 1984, à la Tribune de l'économie.