En tout état de cause, les banques ont commencé de procéder à des restructurations de leurs portefeuilles de créances en cédant pour une fraction de leur valeur nominale certaines de leurs créances sur les pays endettés ; certains y voient la naissance d'un « marché secondaire » des créances, mais les volumes qui s'y traitent restent marginaux en comparaison du volume de la dette bancaire (voir tableau V). Parfois, des entreprises acquièrent ces créances et les échangent aux gouvernements débiteurs contre des parts d'investissement direct dans le pays (comme Nissan au Mexique, par exemple). Même de faible ampleur, ces opérations contribuent à la stabilisation du problème.

Le renforcement des disparités

L'ajustement extérieur des pays endettés s'est remarquablement effectué. Il a toutefois nécessité une importante récession, obtenue par le biais notamment de dévaluations réelles très importantes dans les pays latino-américains, et des réductions considérables des importations. Or, la contrainte financière extérieure ne semble pas se relâcher et on ne voit guère la fin de cet ajustement dans la récession, peu compatible avec la stabilisation politique, ou avec les besoins de l'économie. Les pays en développement remboursent plus chaque année qu'ils ne reçoivent de nouveaux prêts, et voient la progression de leurs recettes d'exportation buter sur une croissance insuffisante de la demande mondiale et sur le risque que font courir à leurs marchés les tendances protectionnistes. Les pays industrialisés ont une responsabilité considérable dans ce domaine. Mais, en 1986, ils ont paru figés dans leur souci de sauvegarder les résultats des politiques de rigueur et incapables d'adopter des décisions coordonnées visant à promouvoir la croissance économique internationale. Plus que jamais, la reprise d'une croissance forte de l'économie mondiale paraît nécessaire à tout espoir de « sortie » de crise.

Tout aussi préoccupant est le problème du financement futur du développement. Peu d'options semblent encore se dégager. Les banques ne seront probablement pas prêtes, dans un avenir prévisible, à contribuer de façon significative à la solution du problème par de nouveaux crédits. Elles ont été fortement échaudées par leur imprudence récente concernant à la fois leurs prêts aux pays en développement et, surtout aux États-Unis, les crédits accordés aux secteurs agricole et énergétique en difficulté ; elles sont par ailleurs confrontées à une mutation profonde de leur environnement et de leurs activités dans le cadre de la révolution financière que connaissent tous les pays industrialisés. L'intermédiation bancaire internationale, classique sous la forme de crédits syndiqués, est en fait condamnée à un déclin durable. On ne peut guère attendre de l'aide officielle qu'elle prenne le relais, même si l'on peut vivement souhaiter qu'un effort sérieux soit consenti en faveur des pays les plus pauvres de la planète. Les contraintes budgétaires de la plupart des pays industrialisés laissent cependant peu d'espoir à ce sujet. Il ne faut pas non plus s'attendre, de la part des entreprises, à un accroissement des flux d'investissement direct dans les pays en développement. Il y a certes un potentiel intéressant à exploiter, mais il faut d'abord que se mette en place un code d'investissement qui préserve les intérêts à la fois des entreprises et des pays d'accueil. Reste l'accès au marché des capitaux. Seuls cependant certains pays peuvent y prétendre à des coûts non prohibitifs, s'ils possèdent des réserves adéquates et font preuve d'un dynamisme économique suffisant. C'est le cas de certains pays d'Asie (en particulier la Corée). Le Brésil pourra peut-être aussi y avoir accès dès 1987. Au total, la crise de la dette pourrait bien renforcer les disparités des situations et des performances des pays du tiers monde, pénalisant doublement ceux qu'elle met durablement en difficulté, d'une part par la nécessité d'un ajustement coûteux, d'autre part en réduisant leurs perspectives d'accès à de futurs financements.

Pierre Jacquet
Ancien élève de l'École polytechnique, ingénieur des Ponts et Chaussées, Pierre Jacquet est adjoint au directeur de l'Institut français des relations internationales (IFRI). Il est responsable de la partie économique du Rapport annuel mondial sur les systèmes économiques et les stratégies (RAMSES), publié chaque année par l'IFRI. Il est également maître de conférences à l'École nationale d'administration et à l'Institut d'études politiques de Paris.