Si les Treize ne peuvent toujours pas se mettre d'accord sur les moyens d'assurer l'« atterrissage en douceur » des prix, grandes sont les chances de voir, tôt ou tard, l'organisation éclater définitivement. Une perspective rarement souhaitée dans les pays consommateurs : tout le monde convient qu'un effondrement à court terme des prix ouvrirait la voie à une nouvelle explosion incontrôlée d'ici la fin du siècle.

Pour les pays de l'OPEP, la maîtrise des niveaux de production et de prix présente évidemment un intérêt capital car ils sont les deux paramètres qui déterminent leurs revenus. Mais, ces questions ne sauraient occulter d'autres problèmes non moins essentiels, qui sont spécifiques aux pays en voie de développement exportateurs de pétrole, mais dont l'intérêt pour les pays consommateurs est moins direct et moins évident :
a) Le pétrole joue en effet un rôle de premier plan dans le processus de développement économique de ces pays, avec toutes les conséquences que cela implique dans l'élaboration des stratégies industrielles et des politiques de commercialisation et d'investissement : pour les pays exportateurs, il ne s'agit plus uniquement d'accumuler des revenus et de savoir combien exporter et à quel prix, mais aussi de gérer au mieux un patrimoine national épuisable en vue de développer leurs économies. C'est un impératif.
b) Dans l'optique des pays consommateurs, la production OPEP est perçue d'une manière globale, c'est-à-dire comme un volume de pétrole qui doit être produit chaque année par les pays membres de cette organisation pour « boucler le système offre/demande » et apporter le complément nécessaire à la couverture des besoins pétroliers mondiaux. La réalité est que cette production OPEP est la somme des productions de 13 pays qui se trouvent dans des conditions bien différentes les uns des autres. Des États comme l'Arabie Saoudite ou le Koweït, qui disposent d'avoirs financiers, ne peuvent avoir des préoccupations identiques à celles des pays fortement endettés comme le Nigeria, le Venezuela ou l'Indonésie. Et des pays à faible population, disposant de ratios réserves/production de plus de cent ans et qui pensent que leur pétrole pourrait être menacé à long terme par d'autres sources d'énergie, ont forcément une stratégie de production différente de celles d'autres pays de l'OPEP qui n'auront plus de pétrole à exporter dans une quinzaine d'années.
c) L'OPEP n'est plus, comme il y a dix ans, un groupe de pays exportant exclusivement du pétrole brut et soucieux d'harmoniser leurs politiques de prix. Aujourd'hui, une part croissante de ses exportations se compose de produits pétroliers raffinés, de GPL (gaz de pétrole liquéfiés), de condensat et de gaz naturel. Certains raffinent une partie de leur production à l'étranger, tandis que d'autres contrôlent des réseaux de raffinage et de distribution dans les pays consommateurs. Au fil du temps, tout le « système OPEP », fondé sur une détermination en commun de la production et des prix du pétrole brut, s'est déconnecté des réalités.

À cela s'ajoute le fait que l'ancien antagonisme sur les prix entre l'OPEP, d'une part, et les pays industrialisés (et en principe les compagnies), d'autre part, est lui aussi largement dépassé. Il existera bien sûr toujours des divergences sur certaines fourchettes des prix du pétrole, des GPL et du gaz naturel. Mais, sur le fond, une baisse importante des prix de l'énergie n'est plus vraiment souhaitée, ni par les pays industrialisés, ni par les compagnies.

Les conséquences de la « crise de l'énergie » doivent aujourd'hui être repensées. Présentée après 1973 comme une aubaine pour les pays exportateurs de pétrole, cette crise a finalement eu bien des résultats négatifs pour eux dans la mesure où la forte augmentation de leurs recettes les a rendus encore plus dépendants du pétrole, et qu'il a suffi que ces recettes déclinent pour plonger la plupart d'entre eux dans de sérieuses difficultés économiques.

La période qui s'est écoulée depuis la première réduction des prix de l'OPEP (février 1983) aura été positive, dans la mesure où elle aura permis une meilleure perception des interdépendances entre pays producteurs de pétrole membres de l'OPEP et non membres et entre pays en voie de développement (PVD) producteurs de pétrole et pays industrialisés : les problèmes pétroliers ne se limitent pas seulement à un marchandage sur les prix ou les niveaux de production, mais concernent aussi et surtout la défense d'intérêts économiques et politiques vitaux, logiquement conciliables, des producteurs et des consommateurs.