Dès le lendemain, le DM et toutes les monnaies du SME montaient de 6 % contre le dollar (le yen de 5,5 %). Commençait alors une nouvelle période dans la chronique des changes de 1985 : il n'y aura plus de véritable contre-attaque des opérateurs jouant la hausse du dollar. Il y a d'abord une montée forte du DM, qui continue jusqu'au 4 octobre. Ensuite, une période de stabilisation au niveau de 2,63 DM, qui va jusqu'au 20 novembre. Commence alors une nouvelle hausse du DM, qui touche 2,50 dans la semaine du 25 au 29 novembre.

Il faut dire un mot de l'évolution du franc français. Il n'a pratiquement pas bougé par rapport au DM pendant toute l'année, au cours de 3,04 ou 3,05 FF pour un DM. Cette évolution a surpris : depuis 1973, l'expérience constante avait été que, dans les périodes de remontée des monnaies européennes contre le dollar, les monnaies faibles s'appréciaient moins vite que les monnaies fortes. En particulier, le FF a toujours connu des difficultés à maintenir sa parité avec le DM dans les périodes de baisse du dollar contre les monnaies européennes. Les sorties du francs du système monétaire européen, en janvier 1974 comme en février 1976, ont coïncidé avec des baisses du dollar. Quelle était l'explication ? Extrêmement simple : la majorité des cambistes et opérateurs pensaient que le DM avait de meilleures chances d'appréciation que le FF, et, comme toujours sur les marchés spéculatifs, leurs prévisions « s'autoréalisaient ».

Pourquoi les choses se sont-elles passées différemment en 1985 ? Parce que les anticipations des cambistes ont été différentes. Leur jugement collectif en 1985 était moins favorable à la République fédérale et plus favorable à la France. Moins favorable à la République fédérale pour des raisons moins économiques que politiques : affaiblissement du gouvernement chrétien-démocrate dû aux scandales financiers, à l'infiltration des services d'espionnage de l'Est jusque dans l'entourage du chancelier, aux relations de plus en plus étroites des deux Allemagnes, aux progrès des écologistes et du parti social-démocrate dans l'opinion. En sens inverse, la France voyait sa cote remonter, cette fois pour des raisons économiques autant que politiques. La rigueur économique décidée en mars 1983 et poursuivie avec ténacité en 1984 et 1985, les résultats obtenus en matière d'inflation et de commerce extérieur, l'attachement au libre-échange, l'orientation libérale en matière de prix et de mouvements de capitaux constituaient des éléments favorables aux yeux des opérateurs sur les marchés de change. La rupture avec le parti communiste en juillet 1984, la politique étrangère indépendante, mais avec ancrage dans le camp occidental, rassuraient également. Enfin, les taux d'intérêt servis sur les dépôts en francs de non-résidents (les euro-francs) ont été, en 1985, supérieurs d'au moins quatre points aux taux des euro-marks. Dans ces conditions, les cambistes ont joué le FF à l'égal du DM et quelquefois même de préférence à lui.

2) L'évolution du dollar vis-à-vis du yen : les conséquences sur les rapports de change entre le yen et les monnaies européennes

On ignore trop souvent l'originalité de la position japonaise en matière de changes.

En général, depuis 1973, date du début du flottement, toutes les grandes monnaies ont évolué dans le même sens vis-à-vis du dollar. Les évolutions ne sont pas rigoureusement parallèles : les monnaies faibles (la couronne danoise, le franc français, la livre anglaise, la lire, la peseta) montent moins vite contre le dollar dans les périodes de baisse de ce dernier (fin 76 à fin 79), baissent plus vite dans les périodes de hausse du dollar (du début de 1980 jusqu'en février 1985). Mais les inflexions majeures ont lieu aux mêmes dates. À cette règle, une exception : le yen. Il se distingue des autres monnaies sur deux points :
a) l'ampleur de ses variations vis-à-vis du dollar est très inférieure à celle des autres monnaies. Du début de 1980 à la fin de 1984, l'écart à la moyenne du dollar/DM est le double de l'écart à la moyenne du dollar/yen.
b) Les autorités monétaires de Tokyo semblent très attentives aux rapports du yen avec les autres monnaies européennes et en particulier avec le DM. Elles ont laissé le yen se déprécier très nettement vis-à-vis du DM de 1973 à 1977, ne commençant à corriger ce mouvement qu'en 1978. C'est seulement en septembre 1978 que le yen retrouve la parité de 100 yens = 1 DM qui était celle de 1971 et aussi celle de mars 1973. Mais ce retour à la parité traditionnelle ne dure pas. Presque aussitôt le yen se met à évoluer vis-à-vis du dollar en sens inverse des autres monnaies : de septembre 1978 à janvier 1980, il baisse fortement contre le dollar alors que les monnaies européennes montent ; de janvier 1980 à décembre 1980, le yen monte contre le dollar alors que les monnaies européennes se stabilisent puis baissent. La parité 100 yens pour 1 DM est retrouvée au début de 1981 ; mais, au cours de 1981, on voit pour la première fois le yen s'apprécier légèrement vis-à-vis du DM. Cependant, en fin d'année, on retrouve le rapport 100 Y pour 1 DM. En 1983 et 1984, l'appréciation du yen vis-à-vis du DM devient très importante. À la fin de 1984, 100 yens valent 1,26 DM. Le yen s'est apprécié de 26 % en deux ans vis-à-vis des monnaies européennes, ce qui amène d'ailleurs un redressement du commerce de la CEE avec le Japon.