C'est alors qu'a lieu la première intervention des grandes banques centrales, la banque centrale des États-Unis y compris. Paul Volcker prend donc délibérément à cette date une position contraire à celle de la Maison-Blanche. Il le fait en s'appuyant sur une réserve de la doctrine officielle : « Pas d'interventions... sauf en cas d'évolution désordonnée des marchés ». En fait, on pouvait soutenir depuis longtemps que l'évolution des marchés était désordonnée. Si le président du système fédéral de réserve se décide à agir le 26 février, c'est certainement qu'il a l'appui du secrétaire au Trésor et qu'il ne redoute plus un éclat public de la part de la Maison-Blanche.

L'intervention fut maintenue plusieurs jours, grâce à la mise en jeu de moyens puissants (11 milliards de dollars). Il fallut trois semaines pour que les opérateurs, jouant la hausse du dollar, renoncent et coupent leurs pertes. Le 5 mars, par exemple on cotait à nouveau les cours maximums du 25 février. Preuve de la résistance farouche du camp des haussiers. Puis, le 18 et le 19 mars, le dollar recula en deux séances de 9 points contre les monnaies du SME. Ce fut le début d'un mouvement de baisse qui continuait et même s'accélérait à la fin du mois de novembre.

Cependant, il est nécessaire, pour bien décrire les marchés au cours de cette période, de distinguer l'évolution du dollar contre le DM et les monnaies du SME, et celle, différente, du dollar contre le yen.

1) L'évolution du dollar vis-à-vis des monnaies européennes

Entre le maximum du 25 février et le 20 septembre, dernière séance avant les interventions concertées, le dollar a baissé contre le DM de 17 % (si l'on préfère exprimer les choses du côté du DM, celui-ci a augmenté vis-à-vis du dollar de 20,4 % [On peut mesurer le mouvement de deux monnaies l'une par rapport à l'autre, le dollar et le DM par exemple, soit en exprimant la variation du rapport dollar/DM, soit celle du rapport DM/dollar, inverse du premier. Les variations ne sont pas symétriques. Dans le cas présent la hausse du DM/$ de 20,4 % équivaut à une baisse du $/DM de 17 %. Différence analogue à celle du calcul de l'escompte « en dehors » et « en dedans ».]). Mais le mouvement de baisse n'a pas été continu, loin de là. Il y a eu, chaque fois que se relâchait la pression des banques centrales, de violentes contre-offensives haussières. On peut dire que, à aucun moment jusqu'au 22 septembre, le camp des haussiers, malgré les pertes subies à la fin de février et au début de mars, n'a cessé de croire que les interventions ne seraient que passagères et que les banques centrales finalement abandonneraient la partie. Il faut noter les deux contre-attaques les plus vigoureuses :
a) Le 18 avril, le DM cote 2,9610, soit une hausse de 16,2 % par rapport au 25 février (ou une baisse du dollar de 14 %). Pratiquement, les interventions ont déjà amené le DM au niveau où nous le retrouverons à la mi-septembre. La contre-attaque débute timidement le vendredi 19 avril, puis reprend vigoureusement après le week-end, le 22. Ne rencontrant pas de résistance de la part des banques centrales, la spéculation à la hausse du dollar reprend : il gagne 9,5 % en deux semaines et se retrouve le 3 mai à 3,23 DM. De nouvelles interventions débutent le 7 mai : le 13 mai, le dollar est revenu en arrière à 3,07. Pour un mois et demi, le marché dollar/DM s'équilibre avec de faibles oscillations autour de cette cotation. Au début de juillet, la baisse reprendra, spontanément semble-t-il. Les interventions vigoureuses de février-mars, puis de fin avril-début mai ont laissé des souvenirs qui calment pour un temps l'ardeur des haussiers.
b) Cette accalmie prend fin le 22 août. Le dollar a baissé la veille jusqu'à 2,73 DM (baisse de 20,7 % par rapport au maximum du 25/2). Beaucoup d'opérateurs pensent que la baisse a été trop rapide, aussi les haussiers reprennent-ils courage. Dans le marché creux du mois d'août, ils entament leur deuxième contre-attaque, qui, pendant trois semaines, ne rencontre aucune résistance. Le 11 septembre, le dollar se retrouve à 2,97 DM et à 9,04 FF. Le seuil psychologique des 9 FF est franchi et le seuil encore plus important des 3 DM est frôlé. Les interventions reprennent sans doute dès le 12 et 13 septembre, car le dollar recule assez vivement. Mais les banques centrales sentent que cette guérilla, cette tactique d'interventions ponctuelles, sporadiques, contre des opérateurs qui oublient vite leurs pertes grâce aux nouveaux gains qu'on leur laisse réaliser risque à la longue d'être perdante. Le samedi 14 et le dimanche 15 septembre a lieu à Bâle, au siège de la Banque des règlements internationaux, la réunion mensuelle des gouverneurs des banques centrales. Très probablement, c'est là que prend naissance l'idée d'un engagement public des gouvernements des cinq pays dits les plus riches du monde (en fait, ceux ayant le produit national le plus élevé : dans l'ordre, États-Unis, Japon, République fédérale allemande, France, Royaume-Uni) en faveur d'une stabilité des taux de change, notamment par des interventions concertées sur les marchés de change. Le dimanche suivant, 22 septembre, a lieu à New York, à l'hôtel Plaza, la réunion, convoquée dans le plus grand secret, des ministres des Finances et des gouverneurs des banques centrales des Cinq. Le soir était publié un communiqué de quelques lignes qui affirmait la décision commune de faire baisser le dollar de manière ordonnée, au besoin par des interventions concertées sur les marchés de change.