Les changes en 1985

L'année 1985 restera, très probablement, en matière de changes, comme une année décisive. Elle a connu à la fois un maximum du dollar contre toutes les monnaies à la fin de février et au début de mars, puis une période de baisse très forte jusqu'à la fin de novembre. Même si celle-ci a été entrecoupée de remontées passagères, la tendance de fond a été la baisse du dollar : à la fin de novembre, celle-ci atteignait, par rapport aux maximums de la fin de février, 27 % contre le deutsche Mark (qui sera désigné par la suite par les initiales DM comme le franc français sera désigné par FF) et les autres monnaies du SME, légèrement moins contre le yen. On a donc assisté au renversement de la tendance qui prévalait depuis le début de 1980 et qui avait amené en cinq ans un doublement de la valeur du dollar en termes de DM (3,44 à fin février 1985 contre 1,72 au début de 1980).

Comment s'explique ce retournement ? On pourrait répondre simplement par l'adage bien connu des boursiers : parce que « les arbres ne montent jamais jusqu'au ciel » ; parce que tout mouvement de hausse excessif sur un marché boursier, comme sur un marché de changes, finit par trouver sa correction du fait même de son excès.

La réponse appartient bien à cet ordre de réflexions, mais à la condition de passer par l'intermédiaire des décisions humaines. Ce n'est pas une réaction anonyme des marchés, « la main invisible » d'Adam Smith, qui a opéré. Ce sont des interventions des banques centrales. Interventions sporadiques, non systématiques, à la fin de février et au cours des mois suivants. Interventions concertées après la réunion de New York du 22 septembre, autre événement capital de l'année 1985.

Nous expliquerons d'abord pourquoi les interventions étaient absolument nécessaires au début de 1985 : la spéculation à la hausse du dollar n'avait aucune raison de s'arrêter d'elle-même.

Les circonstances spéciales aux États-Unis avaient supprimé tout mécanisme correcteur spontané. Nous dirons aussi qui a été l'artisan aux États-Unis, de ces interventions (I).

Nous résumerons ensuite brièvement l'évolution sur les marchés de change en 1985. Elle est rythmée par les interventions qui paraissent l'emporter et découragent les opérateurs à la hausse du dollar ; puis ceux-ci reprennent courage et reviennent à la charge, entraînant de nouvelles interventions. Cela à plusieurs reprises, jusqu'à la date décisive du 22 septembre 1985 (II).

Enfin, nous essaierons de répondre aux questions que soulève la décision du 22 septembre (III).

I – La nécessité des interventions

Le mouvement de hausse du dollar entamait au 1er janvier 1985 sa cinquième année consécutive. La hausse avait commencé au début de 1980, avait eu une période d'hésitation à la fin du premier trimestre puis avait repris au milieu de l'année 1980. Elle était la conséquence de la politique de taux d'intérêts très élevés pratiquée par le président de la banque centrale américaine Paul Volcker depuis octobre 1979. Celui-ci usait de l'arme à sa disposition pour abattre l'inflation aux États-Unis et mettre fin à la forte baisse du dollar (liée à la perte de prestige des États-Unis de Carter).

Reagan, élu en novembre 1980, arrive au pouvoir en janvier 1981. Va se nouer alors la conjonction qui bloquera tout mécanisme d'ajustement spontané de la balance des paiements des États-Unis.

1) Une politique économique contradictoire, hétérodoxe, et qu'il aurait été impossible de mener à tout autre pays que les États-Unis. Reagan fait voter en juin 1981 par un Congrès d'abord réticent un programme d'augmentation des dépenses militaires et de réductions fiscales très importantes. Le résultat est un déficit budgétaire qui va très vite atteindre 200 milliards de dollars.

La banque centrale s'inquiète et pratique une politique monétaire restrictive (hausse nouvelle des taux d'intérêts) qui est parfaitement contradictoire avec la politique budgétaire. Pendant un an, de la mi-81 à la mi-82, l'économie américaine connaît une forte récession, l'effet négatif des taux d'intérêt élevés l'emportant sur l'effet de relance du budget. C'est seulement au printemps 1982 que Paul Volcker abaissera les taux, à la fois parce que l'inflation paraît dominée et parce que la crise de la dette des pays en développement a éclaté le 15 août 1982. L'économie américaine va alors reprendre presque brutalement à la fin de 1982 et rester très soutenue jusqu'à la fin du premier semestre 1984. Cette croissance forte entraîne naturellement un déficit élevé de la balance extérieure.