En cas d'échec, ou de chômage en particulier, ils peuvent s'en prendre, non plus seulement à eux-mêmes, mais à ceux qui les ont fait ou laissé venir. La protection sociale étendue à eux comme à tous les met en position de revendiquer des droits. Leur souci d'échapper à leur condition première peut se transmuer de ce fait en quelque forme d'agressivité.

Des incidents surgissent ça et là, souvent grossis et amplifiés. On pourrait s'étonner qu'ils ne soient pas plus nombreux et n'éclatent pas à tout moment, dégénérant en conflits ouverts. C'est un abus de langage, sinon une forme de perversion, de parler à chaque occasion de « racisme » ou de « xénophobie » ; c'est provoquer des sentiments hostiles. Par sa nature même, son langage, sa manière d'être et de sentir la plus profonde, un étranger est différent. Il y a entre cet « autre » et « nous » une distance difficile à combler. L'autre frappe d'abord par son étrangeté, et il est naturel de manifester de la réserve à son endroit. Il y va d'un corps social ou d'un peuple comme d'un individu.

Ce qu'on appelle « xénophobie » ou « racisme » est une manifestation pathologique d'un sentiment normal. Les réticences d'un peuple en présence d'une vague d'immigrés sont le signe que fonctionne un dispositif de défense, d'« anticorps », contre la pénétration d'éléments étrangers : c'est l'éveil d'un sentiment commun d'appartenance, d'autant plus fort qu'il repose sur un passé plus lointain. Il est normal, il faut le répéter, il est naturel, c'est un réflexe de santé, qu'un groupe, ou qu'un peuple ne se laisse pas pénétrer par l'extérieur sans contrôle.

La France n'est pas seule parmi les pays d'Europe à recevoir des immigrés. Elle n'est pas seule non plus à s'interroger à leur propos, à prendre des mesures pour limiter leur afflux. Comme les Allemands, les Belges ou les Anglais, les Français demandent que ne soit pas atteint, ni surtout dépassé, ce que les Suisses appellent l'« Ueberfremdung », l'excès de population étrangère. Il n'est pas aisé de préciser le niveau de cet excès, variable selon les pays, les moments et les circonstances. Mais la cote d'alerte est sûrement atteinte lorsque des voix s'élèvent dans le monde politique et que des manifestations contradictoires s'organisent.

Tel est le cas en 1985. Tous les sondages attestent qu'une nette majorité de Français réclame que le flot d'émigrés ne grossisse plus et demande des mesures destinées à préserver l'unité et l'identité nationales. S'ils n'éprouvent pas les mêmes sentiments à l'égard de nouveaux venus de diverses nationalités, c'est que la distance qui les sépare des uns ou des autres est plus ou moins grande, par la langue, les mœurs, la religion. Plus marquées sont les différences objectives et plus accusées les réticences. Un groupe humain est jaloux de sa culture, comme un groupe animal de son territoire. Que ce soit un bien ou un mal est une fausse question. C'est un fait, et probablement la condition d'une entente harmonieuse dans l'avenir. Parler sans cesse de « racisme », comme le fait par exemple l'Association SOS-racisme, c'est s'attirer des ripostes, c'est insister sur ce qui sépare et non sur ce qui peut rapprocher. Il est à craindre que cela ne serve pas la cause des immigrés.

Ce qui peut leur être favorable tient au contraire en quelques propositions : faire en sorte que la situation économique s'améliore et que le chômage régresse, lutter contre les concentrations trop fortes et la formation de véritables ghettos, œuvrer en vue d'un redressement démographique de la population française. Une communauté rajeunie est plus ouverte qu'une communauté vieillissante et dépressive. Le caractère général de ces propositions ne signifie pas qu'il est facile de les traduire en actes. Encore faut-il bien définir le but à atteindre.

1985 a été une année préélectorale, des élections législatives devant avoir lieu en mars 1986. Jusque là, il sera encore beaucoup question de l'immigration. Il faut espérer que les discours enflammés et les invectives cessent après le scrutin, pour laisser place à un examen plus calme des problèmes et pour que la raison l'emporte sur l'instinct. La défense de l'identité culturelle française et, par delà, des valeurs de la civilisation judéo-chrétienne n'est pas un objectif méprisable. S'y engager sans mauvaise conscience ne serait-ce pas cela qu'en définitive les immigrés attendent des Français ?

Alain Girard