Et l'Angleterre, grâce à un fonds de six millions de francs, équipe onze stades (pour commencer) d'un système de surveillance télé avec camionnette à tourelle dotée de caméras infrarouges inspectant les tribunes. L'imagination ne s'arrêtera pas. Verra-t-on venir le jour où il faudra un permis spécial pour assister aux matches et des couturiers proposer la tenue adéquate pour un terrain désigné comme à haut risque ?

À n'interroger que le sport on risque d'oublier que le phénomène de la violence, s'il semble aujourd'hui coller à la réalité sportive comme une tunique de Nessus, n'est pas issu d'elle. Que les stades soient devenus des lieux où cette violence trouve le mieux à s'exprimer et que la mythologie sportive soit celle qui a le plus facilement été investie par l'agressivité n'enlèvent rien à ce fait : le houliganisme s'est greffé sur la société sportive ; il ne saurait en être le pur produit.

On a voulu voir, également, dans le houliganisme un phénomène typiquement anglais, oubliant que le terme de « houligan » nous vient de l'Europe de l'Est, où il désignait, au lendemain de la révolution bolchevik, les bandes de jeunes vandales qui sillonnaient le pays, pour devenir ensuite un terme générique qualifiant les jeunes rebelles contre le conformisme communiste.

Les houligans se comportent de façon semblable, qu'ils soient anglais, allemands, français, italiens. Ils forment des groupes structurés qui se distinguent par des limites d'âge précises quant à l'appartenance des membres, par des tenues particulières, des coiffures et des maquillages caractéristiques, des chants et des cris de guerre propres, par tout un rituel, toute une mythologie... À la tête de la bande, un leader autoritaire, l'« aggro-leader », prend en charge l'organisation de la violence.

Une chose, cependant, doit être soulignée : la théâtralisation des comportements. L'aggro-leader, par exemple, suscite moins des violences réelles qu'il n'orchestre une illusion de violence. Non que les dégâts sur les personnes et les biens n'existent jamais, mais on surestime le nombre d'actes de violence réelle par rapport aux actes symboliquement agressifs. On joue à faire peur, on joue à terrifier, on mime l'écrasement physique de l'adversaire, et cette dimension du simulacre, ce goût de l'apparence des choses plus que des choses elles-mêmes rapprochent le houligan du dandy dont il est comme la caricature perverse.

Comme le dandy, le houligan « se déguise » et « parade » sur la scène sociale. Comme lui, il met au-dessus de tout le « style » et la « face ». Comme lui, il ignore tout engagement profond et garde une distance aristocratique à l'égard des « bourgeois ». On a cherché à réduire le houliganisme à des paramètres simples et conjoncturels, en particulier le paramètre économique et le paramètre politique. Les faits ne semblent pas confirmer de telles hypothèses.

L'explication par la crise économique et par le chômage des jeunes est contredite par le rapport établi, au lendemain de l'incendie du stade de Bradford, à la demande de Mme Thatcher. Le juriste Popplewell, président de la commission d'enquête, y écrit : « Le phénomène houligan débuta au milieu des années 60. L'Angleterre connaissait alors une situation de quasi-emploi. » N'est-ce pas rappeler qu'avant de se rabattre sur la thèse misérabiliste du chômage on avait eu recours à la thèse de « la société de consommation » et de « la société de loisir » ? Or, ce qui rapproche ces deux sociétés (la pauvre et la riche), c'est l'espace anomique qui s'y engendre et le besoin de pallier le manque d'identité collective qui en résulte par la fabrication d'identités artificielles et ostentatoires.

On a, du reste, noté que, sur trois cents individus arrêtés lors des incidents, deux seulement étaient sans emploi. De même, lors d'un match Leeds-Birmingham, les journalistes rapportèrent que les supporters de Leeds lancèrent des pièces de monnaie pour chasser de leurs tribunes les « intrus » de Birmingham. Ces projectiles permirent, le lendemain, aux ouvriers d'entretien de récolter l'équivalent de cinq mille francs sur le terrain...