Deux inquiétudes inverses viennent à l'esprit devant ce procédé. Si le produit essayé est inefficace, voire dangereux, il est affreux d'y soumettre un malade sur deux. Mais, s'il est efficace, voire souverain, il est terrible d'en priver la moitié des patients, surtout dans des affections graves. Hélas, les essais randomisés sont l'unique méthode permettant de distinguer à coup sûr un vrai médicament d'une quelconque poudre de perlimpinpin.

La fin de la vie

Les médicaments, si raffinés soient-ils, n'évitent pas, tôt ou tard, la mort. Les techniques modernes de réanimation permettent de reculer l'échéance fatale, mais il arrive que ce délai soit sans profit pour le mourant, car il prolonge seulement son agonie.

C'est pourquoi on a vu ces dernières années se développer des associations favorables à l'euthanasie, au « droit de mourir dans la dignité », et opposées à l'acharnement thérapeutique. Après une retentissante controverse en 1984 à propos d'un article du P. Verspieren mettant en cause un tel acharnement chez certains médecins et l'utilisation par d'autres de produits abolissant la conscience, 1985 a été marqué par la création par Edmond Hervé, secrétaire d'État à la Santé, d'un « groupe de travail sur l'aide aux mourants ». Ce groupe doit formuler des propositions concrètes permettant de « dépasser le faux débat euthanasie-acharnement thérapeutique ».

Micros, caméras... et stéthoscopes

La presse, c'est bien compréhensible, s'est toujours attachée de fort près à suivre les progrès effectués par la médecine. Mais, à la faveur du développement des médias audiovisuels, le moindre propos un peu optimiste sur un traitement à l'essai acquiert, sitôt lâché sur une antenne, une force d'impact dévastatrice qui en fait un remède miracle.

Début 85, le journal l'Est Républicain publie une interview du Pr Laborit sur un nouveau produit antidouleur qui semble posséder une efficacité extraordinaire et des propriétés annexes multiples. C'est « l'affaire de l'AGR 529 », car, sitôt la nouvelle diffusée par radios et télés, le Pr Laborit publie un démenti réduisant à presque rien les capacités du médicament tant vanté.

Toute l'année durant, le Sida fournit mille occasions à la presse de faire frémir le public. Pour une affection qui ne touche que quelques dizaines de milliers de personnes dans le monde entier, on crée ainsi une véritable psychose.

Mais le sommet est atteint en novembre, lorsqu'un communiqué du ministre des Affaires sociales et de la Solidarité nationale, Mme Georgina Dufoix elle-même, annonce qu'une équipe française a obtenu des résultats probants en utilisant la ciclosporine. Les journalistes du monde entier se pressent à l'hôpital Laënnec à Paris... Pour y entendre le récit d'une expérimentation, certes intéressante, mais ne concernant que deux malades traités depuis quelques jours ! Pour couronner le tout, les deux patients décèdent peu de temps après.

Dans cette affaire, la presse, si souvent taxée de sensationnalisme, est apparue innocente. Il serait temps que les autorités politiques et médicales régnant sur le monde de la santé apprennent à faire bon usage des médias.

Frank Stora