Dix projets se sont vu décerner le label Eurêka. À considérer la diversité des alliances conclues dans ce cadre, on peut remarquer que les structurations administratives et industrielles qui freinent traditionnellement l'élaboration de produits et de services nouveaux ont bel et bien été débloquées. Dans le droit fil de cet inattendu « déblocage » seront exclus les accords commerciaux à trop court terme ainsi que les recherches fondamentales à horizon trop lointain ; c'est bien dans le moyen terme que s'appliqueront les politiques de coopérations précompétitives et sur des marchés tangibles. Sur les dix projets retenus à ce jour, sept correspondent déjà à de véritables montages de coopération industrielle.

1. Le développement d'un microordinateur personnel à vocation éducative associant Acorn pour la Grande-Bretagne, Olivetti pour l'Italie et Thomson pour la France, et qui pourrait définir un standard européen en matière de micro-informatique.

2. L'élaboration d'un mini-calculateur compact, pour lequel Norsk Data (Norvège) et Matra (France) mettraient en commun leur maîtrise respective.

3. La fabrication de silicium « amorphe », dont la technologie est présente dans toute l'électronique et qui se donne comme un projet franco-allemand.

4. Un robot pour l'industrie textile, à l'élaboration duquel seront associés Lectra Systèmes pour la France, les sociétés portugaises Eface, Eid, Lneti et Iubi, auxquelles viendraient se joindre des industriels espagnols et turcs.

5. La fabrication de membranes d'ultrafiltration pour les eaux usées, qui devrait déboucher sur l'abandon de l'utilisation de produits chimiques pour le traitement des eaux ; ce projet sera réalisé par Danske Sukkerfabrikker (Danemark) et la société française Degremont-Lyonnaise des eaux.

6. Un système de diagnostic pour les maladies sexuellement transmissibles ; sa mise au point verra se conjuguer les efforts de l'espagnol Biokit et de l'anglais PA Technologie.

7. Un atelier flexible optoélectronique, mettant en jeu les techniques de pointe en matière de fibres optiques et de laser, devra être mené à bien par Comau pour l'Italie, par Lasag, pour la Suisse et par la CGE pour la France. Une dizaine d'autres projets, déjà bien avancés, parmi lesquels un superordinateur franco-allemand, un robot de sécurité civil (France, Suisse, Espagne) et la mise en chantier d'un système de destruction de substances chimiques franco-hollandais, devraient être bouclés pour la prochaine réunion à Londres. L'heure est donc à l'enthousiasme ; M.R. Dumas pouvait déclarer, avant la fin même de la réunion d'Hanovre, qu'« Eurêka a déjà ses statuts (et que) sa charte fera la loi entre les dix-huit pays concernés et servira de référence ». Il n'en demeure pas moins des zones d'ombres. Ainsi, l'attribution du label Eurêka est encore insuffisamment précise : et les conditions dans lesquelles d'autres pays pourraient se joindre ultérieurement dans un projet déjà lancé dans le cadre Eurêka restent à déterminer.

Eurêka sera-t-il le point de passage obligé d'une Europe industrielle encore empêtrée dans ses barrières douanières, fiscales, techniques et administratives ? Là où certains ont pu voir dans la politique industrielle européenne de la France une vieille tendance colbertiste, organisant la vision de l'espace Europe autour de grands projets (Concorde, Ariane, Airbus), la souplesse réelle des accords dans le cadre Eurêka, la flexibilité qui en est le cœur et le poumon devront également concilier l'ouverture vitale des marchés publics aux entreprises et la nécessité de ne pas restreindre cette ouverture aux seules firmes européennes, car la présence américaine et japonaise en Europe, quelles qu'en soient les formes multiples, est une réalité incontournable. Le programme Eurêka parviendra-t-il à faire taire longtemps les vieux démons sur les questions de maîtrise d'œuvre, de financement et sur les particularismes nationaux ? Car, pour faire une concurrence réelle à l'IDS, l'Europe de la technologie devra voir se multiplier de façon géométrique et tous azimuts les projets des firmes du vieux continent.

Philippe Faverjon