Dans le plus beau désordre, des négociations s'étaient cependant amorcées entre un gouvernement quelque peu affolé, des organisations professionnelles totalement prises au dépourvu et quelques représentants de la base opportunément surgis de la fumée des bivouacs alpins. Ces contacts où les routiers déballèrent l'ensemble de leurs revendications, des propos apaisants tenus par Jacques Delors (Premier ministre par intérim en l'absence de Pierre Mauroy), tout autant que la fatigue des « mutins » (et la promesse d'un dédommagement de 2 000 F par camion bloqué) aboutirent à l'apaisement. La FNTR (Fédération nationale des transports routiers), principal syndicat, lança la consigne de lever les barrages et, le 24 février, tous les poids lourds libérèrent enfin les routes.

Route : la mauvaise passe

Début mars, la profession recevait satisfaction partielle sur quelques points, tels l'amélioration des procédures douanières, l'assouplissement des temps de conduite, la programmation d'une détaxe du gasoil, etc. Mais, six mois plus tard, le congrès de la FNTR permettait de mesurer combien la grogne des routiers s'était maintenue depuis février : leur colère hivernale leur avait certes coûté cher, au point de mettre en péril la survie de certaines petites entreprises, mais le président Maurice Voiron brandit pourtant devant son nouveau ministre de tutelle, Jean Auroux, la menace de voir à nouveau les routes envahies par des routiers poussés à bout.

Leur situation économique ne s'était, en effet, nullement redressée, au contraire. L'évolution de la fiscalité sur les carburants, en particulier, a complètement noyé les promesses de détaxation de Ch. Fiterman avant même la date de leur application. Et l'alourdissement des charges dans les entreprises s'est accompagné d'un fléchissement inquiétant de leur niveau d'activité depuis le début de l'année. De sorte que, sur les huit premiers mois de l'année, les transports routiers se retrouvaient au même niveau que la période correspondante de 1983.

Ce fléchissement touchait l'ensemble des trafics de marchandises, mais c'est la route qui accomplissait les plus mauvaises performances, avec le trafic fluvial, en baisse, lui, de près de 5 % sur 1983.

Le déficit du rail

La SNCF, au contraire, réussissait à se maintenir à son niveau de fin 1983, ce qui semblait devoir mettre fin à la baisse enregistrée depuis 1980.

Côté voyageurs, le rail profitait à nouveau d'une progression de son trafic, de l'ordre de 2 %, du fait, notamment, du succès confirmé du TGV. Fin 1984, 14 millions de voyageurs allaient avoir emprunté les rames orange et gris de la ligne du Sud-Est depuis sa mise en service, trois ans plus tôt. Et ce succès de fréquentation se double d'un bilan financier encourageant, puisque, pour ce premier exercice en exploitation complète, les recettes devaient couvrir largement les coûts d'exploitation (39 %) et les charges du capital : le TGV remboursera ainsi son investissement en moins de dix ans.

Malheureusement, ces niveaux de trafics assez satisfaisants ne pouvaient pas suffire à redresser la dramatique situation financière de l'entreprise, dont le déficit avait encore atteint 7,9 milliards en 1983. L'insuffisance des hausses tarifaires accordées par les pouvoirs publics, si elle favorisait la fidélité de la clientèle du rail (au grand dam des routiers), ne pouvait que creuser encore davantage l'abîme. L'impuissance du gouvernement à le combler entretient, en tout cas, un climat malsain dans les transports terrestres, où les concurrents de la SNCF ont évidemment beau jeu de dénoncer ce mastodonte soutenu à bout de bras par la communauté nationale, dans des conditions qui ne permettent plus très bien de savoir s'il est bien ou mal géré...

Au moins le rail peut-il se vanter d'avoir donné du fil à retordre à l'avion. Air Inter constatait ainsi une chute de 40 % sur le trafic de sa ligne Paris-Lyon, par rapport à 1983 : l'effet TGV. La compagnie intérieure enregistrait d'ailleurs, pour la première fois depuis longtemps, une tendance marquée à la baisse, bien que son trafic progressât encore globalement de 2,7 % sur les 9 premiers mois par rapport à 1983. Mais Air Inter se bat, et l'amélioration déjà amorcée du remplissage de ses avions sur la liaison chaude Paris-Lyon lui paraît de bon augure.