L'année 1984 ne s'annonce pas meilleure : le volume brut des ventes a reculé de 3,8 % pendant les cinq premiers mois et, après une timide reprise en été, on enregistre un nouveau fléchissement en septembre.

Escarmouches et boycott

C'est sur cette toile de fond que se joue l'affrontement de plus en plus sévère entre « grand » et « petit » commerce. Centres Leclerc en tête, hypermarchés et supermarchés mettent peu à peu en pièces le « carcan législatif » auquel ils reprochent de figer la concurrence.

Le rayon des livres est le premier théâtre des escarmouches. Un nombre croissant de grandes surfaces se lancent dans le discount, passant délibérément outre la loi sur le prix unique. La FNAC leur emboîte le pas en mai, avec ses prix européens (important des livres de Belgique, elle les revend avec des rabais de 20 %). L'opération est suspendue en juin, après que plus de 3 500 procès-verbaux d'infraction eurent été dressés. Mais le mouvement continue de gagner dans les libres-services, et les libraires indépendants réagissent en boycottant les éditeurs qui acceptent d'approvisionner les hypermarchés discounters. Les procès se succèdent, avec des résultats contradictoires, pendant que les principaux intéressés, libraires, éditeurs et grandes surfaces, prennent le public à partie par voie de placards publicitaires publiés dans la presse.

La guerre des rabais

Elle sévit dans les stations-service. Leclerc mais aussi Mammouth, Auchan, Cédis, Cora... affichent des ristournes qui vont jusqu'à 35 et même 40 centimes au litre, largement au-dessus des 17 centimes autorisés. Comme dans le secteur du livre, l'objectif est clair : multiplier les infractions, porter les différends devant les tribunaux pour démontrer que la loi française est caduque par rapport au traité de Rome qui garantit la libre circulation des marchandises et interdit les mesures faussant le jeu de la concurrence. Tous les protagonistes attendent impatiemment que la Cour de justice européenne se prononce sur le sujet.

Profitant de ce vide juridique, les grandes surfaces se bousculent pour lancer d'autres pavés dans la mare des monopoles : Auchan et Leclerc s'attaquent à la parapharmacie et proposent des rabais de 15 à 35 % sur les parfums et produits de beauté jusqu'ici protégés par la vente exclusive en pharmacie. Quant à Michel Leclerc, frère d'Édouard, il propose des rabais sur les voitures (10 % à 20 % moins cher que chez les concessionnaires de marques) et même sur... les enterrements : la société Michel Leclerc Funéraires, qu'il vient de créer, fait directement concurrence au monopole de fait que s'étaient constitué les Pompes funèbres générales.

Dans cette ambiance surchauffée, les commerçants indépendants crient au « génocide économique » et sont près de se considérer comme une « espèce en voie de disparition ».

Non à la publicité comparative

Apparue en 1983 dans les médias, la publicité comparative, bien que théoriquement interdite par la loi, a fleuri cette année.

Après Carrefour et ses « qualités comparées » en février, les Coop répliquaient, dès le mois suivant, en lançant leur « comparaison totale des prix ». Dès lors, la « guerre des comparaisons » a fait rage, entraînant des affrontements virulents entre magasins dans plusieurs régions, avec dépôts de plaintes devant les tribunaux. Les pouvoirs publics semblaient alors plutôt favorables à un assouplissement de la loi, qui permette cette nouvelle forme de publicité. Après que le Conseil national de la consommation et le Bureau de vérification de la publicité eurent exprimé leur ferme opposition à ce projet, le Conseil des ministres a fini par trancher au printemps : c'est un non définitif à la publicité comparative.

Blocage des prix

Les pouvoirs publics sont bien embarrassés. Guidés par l'objectif prioritaire de la lutte contre la hausse des prix, ils voudraient bien faire évoluer la réglementation des prix, mais redoutent l'anarchie. Jean-Marie Bockel, le nouveau secrétaire d'État auprès du ministre du Commerce, de l'Artisanat et du Tourisme, se proposant de « réhabiliter » la fonction commerciale et d'aider à sa modernisation, ne desserre cependant pas le dispositif d'encadrement des marges. Le blocage de celles-ci en valeur relative est maintenu, la seule ouverture laissée aux professionnels étant la possibilité de signer des engagements de modération des prix.