Certains experts affirment que, pour assainir la situation, il faudrait licencier 50 000 salariés sur 90 000 et ramener la production à 10-12 millions de t, objectifs irréalisables, tant sur le plan social que sur le plan politique, car, en plus, des myriades de PME, surtout localisées en Lorraine, font 70 % de leur chiffre d'affaires avec la sidérurgie.

Il faut donc s'attendre — sauf changement radical de politique — à ce que la sidérurgie française suive le chemin des Charbonnages, c'est-à-dire délaisse peu à peu le domaine de l'économie industrielle pour entrer dans celui de l'économie sociale. Dès lors, pour les pouvoirs publics, actionnaires d'Usinor et de Sacilor, il ne s'agit plus que de gérer un déclin, quitte, lorsque la facture sera trop lourde, à accélérer ici des licenciements, là des fermetures de hauts fourneaux, en priant le ciel que l'inévitable crise sociale qui s'ensuivra immédiatement n'aille pas plus loin qu'un simple défilé de Lorrains à Paris.

Hervé Jannic

Textile

L'embellie

L'activité est toujours stagnante dans le textile et l'habillement. Pour au moins deux raisons. Il s'agit d'abord d'un secteur extrêmement sensible à l'évolution du pouvoir d'achat. Quand celui-ci augmente, comme en 1982, la consommation textile suit, mais avec une ampleur moindre. En revanche, quand les salaires stagnent, comme c'est le cas depuis 1983, les achats diminuent. Et l'outil de production doit s'adapter. Enfin, pas tout à fait. Entre la consommation et la production s'intercalent les importations et les exportations. Et, ces dernières années, sur un marché stagnant, la part des importations n'a cessé de croître (pour atteindre, à l'heure actuelle, plus de 50 % de la consommation). En dépit de leurs efforts à l'exportation, les industriels ont vu leur production baisser davantage que la demande finale.

Retour à l'équilibre

Depuis dix ans, ce mouvement s'est cependant inversé. D'abord, la pression des importations, en provenance notamment de pays en voie d'industrialisation, s'est ralentie ; ensuite, les exportations se sont développées plus rapidement que par le passé. Le taux de couverture des importations par les exportations dépassera 80 % en 1984, contre 75 % au cours des deux années précédentes.

L'explication de ce phénomène tient au cours extravagant atteint par le dollar. Le billet vert à 9 F a attiré vers les États-Unis les exportations du monde entier. D'où, en France, deux phénomènes simultanés ; un ralentissement de la pression exercée par les ventes en provenance des pays tiers et une très forte hausse de nos exportations outre-Atlantique : + 60 % dans le textile, 70 % dans l'habillement sur les huit premiers mois de l'année. La concurrence américaine étant moins vive et l'amélioration de la compétitivité française aidant, nos ventes aux autres pays développés comme le Royaume-Uni, le Canada, la Suède, l'Allemagne ou l'Italie se sont-elles aussi fortement gonflées.

L'Italie, pays-roi du textile européen, est ainsi devenue notre second marché extérieur et nous en sommes devenus le premier fournisseur.

La compétitivité redécouverte

Beau rétablissement en vérité, qui est dû, celui-là, non pas au cours du dollar mais à l'avantage de compétitivité obtenu, pour les produits français, grâce au plan « investissement-emploi » lancé en 1982 et dont le principe était de réduire les charges sociales (de 8 à 12 points) en échange d'une augmentation des investissements et/ou d'un maintien des effectifs.

La réussite de ce plan élabore par Bruxelles a été éclatante : la moitié des entreprises du secteur l'ont signé. Leurs investissements ont augmenté de 25 % et la baisse annuelle de leurs effectifs n'a été que de 2 % en moyenne, contre 7 % au cours des années précédentes. Mais, surtout, la plupart des entreprises textiles ont renoué, en 1983, avec les profits. C'est le cas notamment de DMC et Prouvost. Seul groupe textile encore dans le rouge : la Compagnie Boussac Saint-Frères, qui est une entreprise de location-gérance (dont les frais financiers ont disparu du compte d'exploitation en 1982). Mis à part les dépenses relatives aux licenciements, CBSF devait être en 1984 proche de l'équilibre d'exploitation. Il n'en a rien été, bien que, pièce centrale d'un imbroglio juridico-financier, CBSF ait reçu les capitaux nécessaires à sa survie provisoire, jusqu'à la solution de reprise par Férinel, fin 1984. Dans l'habillement, le rétablissement de la situation paraît moins net que dans le textile, mais on revient de loin. Le plan investissement-emploi s'est arrêté au cours de l'été 1984, alors que le dispositif industriel avait sorti la tête de l'eau. Pas suffisamment pour les représentants de la profession, qui craignent un exercice 1985 difficile, en tout cas moins porteur sur le plan international que ne l'a été 1984.

François de Witt