Journal de l'année Édition 1985 1985Éd. 1985

Conjoncture économique

Monnaie

Le franc sauvé

1984 aura été pour le franc français une année de dupes. Contre toute attente et en dépit de toutes les prévisions, le franc français a non seulement tenu sa parité au sein du système monétaire européen, mais a même permis à la Banque de France d'engranger des devises.

Les réserves de l'institut d'émission qui s'élevaient à 430 milliards de F fin 1983 atteignaient en effet 447 milliards à la fin octobre. Et, dans ce montant, la part des réserves en devises est passée de 69 milliards (plus 80 milliards d'écus) à 97 milliards (plus 75 milliards d'écus).

Dette extérieure

Ce phénomène est d'autant plus remarquable que le solde de nos échanges commerciaux devait faire apparaître, à la fin novembre, un déficit de l'ordre de 30 milliards de F pour l'ensemble de l'année et celui de nos échanges courants (avec les services) d'environ 25 milliards. Or, s'il y a indiscutablement redressement du commerce extérieur, le phénomène cumulatif du déficit de nos paiements extérieurs alourdit un peu plus chaque année le montant de la dette extérieure, dont le montant brut devrait dépasser fin 1984 les 500 milliards de F. La charge de la dette devrait d'ailleurs augmenter en 1985 d'une dizaine de milliards de F encore, malgré le rééchelonnement systématique entrepris tout au long de l'année 1984.

La plupart des grandes entreprises et institutions paraétatiques ont, en effet, procédé en 1984 à des émissions nouvelles sur le marché international des capitaux pour rembourser par anticipation un certain nombre d'emprunts antérieurs plus lourds en intérêt. Le Trésor a fait de même sur le marché national pour alléger la charge de la dette interne. Ces opérations, qui se sont soldées par des excédents de devises, n'expliquent cependant pas, à elles seules, la relative tranquillité des institutions monétaires françaises sur le marché des changes. Il y a bel et bien eu, en effet, des entrées de capitaux à court terme (capitaux flottants) au profit du franc, notamment pendant le premier semestre 1984.

Le test des salaires

Plusieurs facteurs ont contribué, en réalité, à la bonne tenue du franc français au sein du système monétaire européen en 1984 et, au premier chef, la continuation de la politique de rigueur du gouvernement français.

Le scepticisme affiché par les observateurs français à l'égard du gouvernement n'a pas été du tout partagé par l'opinion internationale, et notamment anglo-saxonne, dont dépendent, pour une grande part, les évolutions monétaires.

Dès la mise en place de la politique de rigueur de mars 1983, les milieux financiers internationaux s'étaient fixé, en effet, comme test de la volonté politique du gouvernement non pas le niveau de hausse des prix en France et l'évolution de la balance commerciale, mais l'évolution des salaires. Or, il est clair qu'à cet égard le gouvernement français a tenu bon. La baisse de pouvoir d'achat qui en est résultée, plus de 3 % sur l'année, explique pour une bonne part l'amélioration du solde de nos échanges avec l'étranger, malgré une plus grande pénétration des produits étrangers due à la reprise des investissements.

Le différentiel d'inflation

De ce fait, l'écart de valeurs des devises entre la France et l'Allemagne fédérale a peu joué dans l'appréciation portée sur les monnaies. À la fin novembre 1984, celui-ci atteignait pourtant 6 % sur les douze derniers mois. Or, dans le même temps, le mark s'est apprécié de l'ordre de deux centimes seulement vis-à-vis du franc (3,07 F contre 3,05 F). Trois autres phénomènes ont joué en faveur du franc. D'abord, le glissement brutal du franc français de 1981 à 1983 avait fait apparaître entre le franc et le mark une parité un peu trop favorable à ce dernier. Ensuite, la France a maintenu systématiquement un différentiel de taux d'intérêt positif avec son voisin d'outre-Rhin. Certes la déconnection des taux de crédits distribués du taux d'intérêt monétaire, grâce, notamment, au développement des bonifications d'intérêt, a permis de réduire de 8 % à 6 % l'écart de taux d'intérêt à trois mois (taux directeur des adjudications de la Banque de France) entre le mark et le franc, tant sur le marché intérieur que sur celui de l'eurofranc. Ce dernier a d'ailleurs été magistralement utilisé à plusieurs reprises, par la Banque de France, pour étouffer dans l'œuf toute tentative de spéculation. La désinflation mondiale, d'une part, et la faiblesse de la demande de crédit, d'autre part, ont permis non seulement de respecter les objectifs de croissance monétaire du gouvernement (5-6 %), mais de poursuivre la détente du loyer de l'argent sur tous les marchés avec une baisse d'un point et demi sur le court terme (11 % en moyenne en novembre contre 12,4 % au début de l'année) et de plus de 2 points sur le long terme. Toutefois, en termes réels, les taux restent, compte tenu de la désinflation, historiquement élevés. Avec une hausse des prix en glissement de 6,9 % et de 7,5 % en moyenne annuelle, les taux d'intérêt réels ressortissent encore à 3-4 % pour le court terme et 5-6 % pour le long terme. Ces taux sont toutefois inférieurs à ceux des États-Unis.

La hausse du dollar

Enfin, dernier phénomène favorable, l'envolée de la monnaie américaine s'est poursuivie tout au long de l'année 1984, contre le mark notamment, et a puissamment favorisé la tenue du franc français et des autres monnaies « faibles » du système monétaire européen (lire italienne et franc belge). Le système tripolaire dans lequel nous nous trouvons (dollar-yen-mark) au niveau international fait que les arbitrages entre différentes monnaies se font essentiellement par rapport à certaines d'entre elles. Or, la hausse du dollar s'opérant particulièrement vis-à-vis du mark, toutes les autres devises du SME se trouvent protégées d'une éventuelle réévaluation de la monnaie allemande.