Journal de l'année Édition 1985 1985Éd. 1985

Ces deux visites importantes étant passées, l'automne 1984 paraît marquer une évolution sensible de la politique atlantique de la France. Paris a fini par conclure (réunions des assemblées générales du FMI et de la Banque mondiale, à Washington) qu'il n'y avait rien à attendre de Washington, ni sur les taux d'intérêt ni sur le dollar. Dès lors, la critique de la politique économique américaine et de ses effets désastreux dans le tiers monde est plus vive. Les appréciations différentes des États-Unis et de la France sur l'Amérique centrale, sur l'Afrique australe, sur les relations avec les pays de l'Europe de l'Est, sur les difficultés croissantes des rapports entre les États-Unis et la CEE, sur l'économie mondiale enfin prennent un relief particulier, ce qui fait dire à certains que l'on est entré dans une nouvelle période de type gaulliste ou jobertiste.

L'espoir européen retombe

Lorsque la France accède à la présidence de la Communauté européenne, au début de 1984, la crise de l'Europe est triple : crise financière tout d'abord, puisque le plafond des ressources propres a été atteint ; crise économique ensuite, puisque l'Europe, écartelée entre ses deux grands partenaires rivaux — les États-Unis et le Japon —, ne peut définir une stratégie commerciale, industrielle et technologique commune ; crise politique enfin, puisque les procédures de décisions ne permettent plus de trancher l'essentiel.

Ainsi que le dit Roland Dumas devant l'Assemblée nationale (26 avril), « de compromis inconsistants en arbitrages inconséquents, l'Europe a perdu le fil de son propre avenir. Les intérêts nationaux à court terme ont pris le pas sur l'intérêt collectif à long terme, la Communauté est devenue myope ! » ; la présidence française veut rendre à l'Europe son ambition et en revenir à un fonctionnement conforme au traité.

À plusieurs vitesses

Le conseil européen de Fontainebleau (25-26 juin), marquant la fin de cette présidence, ne sera pas à la hauteur des espoirs mis dans l'action européenne conduite personnellement par le chef de l'État français pendant les six premiers mois de l'année. Celui-ci reste convaincu que l'Europe sera politique ou qu'elle ne sera pas. Et que c'est cette dimension qui lui permettra de résoudre non seulement ses problèmes de défense, mais aussi les questions plus spécifiques sur lesquelles continue à achopper la Communauté. Le sommet de Fontainebleau aura permis d'éviter le pire et de régler, provisoirement, plusieurs points épineux, dont la contribution de la Grande-Bretagne au budget de la CEE.

Si l'Europe « est à plusieurs vitesses », la France et l'Allemagne s'efforcent, depuis quelque temps déjà, d'enclencher la même. À cet égard, la présence du président français et du chancelier allemand, main dans la main devant le monument aux morts de Verdun, le 22 septembre, veut être un symbole. Sur le plan politique, l'appui apporté par Helmut Kohl à l'initiative mitterrandienne d'un « nouveau traité » pour l'Europe traduit bien la communauté de vue des deux pays sur cette question fondamentale.

Sur le plan militaire, la signature d'un accord sur la construction commune d'un hélicoptère de combat (427 appareils entre 1990 et 1995) illustre la relance d'une coopération qui envisage une cinquantaine d'autres projets menés conjointement. La célébration du 30e anniversaire des accords de Paris, qui, le 23 octobre 1954, avaient, notamment, jeté les bases de l'Union de l'Europe occidentale, est l'occasion pour Paris et Bonn de marquer leur volonté de relancer les activités d'une organisation qui est la seule instance européenne à avoir compétence en matière de défense militaire commune.

Autre volet du dossier européen, l'élargissement à l'Espagne et au Portugal n'est pas sans poser de délicats problèmes. La France doit ainsi prendre en compte les intérêts de ses régions directement concernées par l'entrée de ces deux pays. Pour cette raison, elle se refuse à organiser purement et simplement un « élargissement de libre-échange » et lie cette adhésion à la réforme de la Communauté. L'accord sur le vin, conclu par les Dix le 3 décembre, au sommet de Dublin, entre dans ce cadre.

Médiation au Moyen-Orient

Au nombre des événements qui ont marqué l'année 1984, ceux du Proche-Orient tiennent une place particulière puisque l'engagement militaire de la France au Liban, dans le cadre de la Force multinationale, et son appui apporté à l'Iraq, sur le plan diplomatique et par la livraison d'armements, lui ont valu des représailles sanglantes en 1983 (le contingent français aura perdu 88 hommes en un an et demi). Considérant que les Libanais sont en état de mettre en place des structures d'arrêt des hostilités dans un climat favorable à la recherche de solutions politiques, Paris décide de mettre fin, le 31 mars, à la mission de ses forces à Beyrouth, où elle maintient, cependant, un corps de 80 observateurs. Ayant préservé l'honneur, elle n'en doit pas moins constater l'échec relatif de l'expérience de la Force multinationale, à laquelle elle s'était associée pour se retrouver, contre son gré, quelque peu prisonnière d'une « politique de paix » américaine, à l'élaboration de laquelle elle n'avait pas été directement conviée.