Journal de l'année Édition 1985 1985Éd. 1985

Budget

En trompe-l'œil

« Trop d'impôt, pas d'impôt : on asphyxie l'économie, on limite la production, on limite les énergies et je veux absolument revenir à des chiffres plus raisonnables. » Le 13 septembre 1983, François Mitterrand se livrait à cette profession de foi à la télévision. Un an plus tard — presque jour pour jour — Pierre Bérégovoy a la lourde tâche de montrer comment ce choix a été appliqué au travers du projet du budget pour 1985.

En fait, l'objectif central assigné par le président de la République a été édulcoré. Il s'agissait pour le chef de l'État de réduire de 1 % du PIB l'ensemble des prélèvements fiscaux et sociaux. Les experts font leurs comptes. Et, au début du printemps 1984, il s'avère que les 43 milliards de F d'économies budgétaires que nécessiterait la réalisation de cette promesse ne pourraient être obtenus qu'au prix d'un accroissement trop lourd de l'endettement de la France. La conclusion tombe très vite : le jeu n'en vaut pas la chandelle.

L'objectif ne sera donc pas atteint quantitativement. Mais l'idée, elle, demeure. Et elle constitue même l'empreinte originelle de la loi de finances pour 1985. Même si, selon l'expression employée à de multiples reprises à l'Assemblée nationale et dans les syndicats, l'État reprend d'une main ce qu'il donne de l'autre.

Tour de passe-passe

Le gouvernement annonce une baisse de 5 % de l'impôt sur le revenu et confirme la suppression du prélèvement exceptionnel de 1 % instauré en 1982 pour subvenir aux besoins de la Sécurité sociale. Au total, ces deux mesures se traduiront par un manque à gagner de 22 milliards de F pour les finances publiques. Le contribuable, lui, en ressentira l'effet différemment selon ses revenus. Pour un couple marié sans enfant la réduction d'impôts correspondant à un revenu annuel de 600 000 F s'élèvera à 25,1 %. Elle sera plus faible (7,1 %) pour un revenu de 500 000 F.

Les entreprises, aussi, bénéficieront de cette défiscalisation. Après la réforme de 1982 qui avait permis un allégement de la taxe professionnelle de 11 milliards en 1982 et 1983, un nouvel allégement de 10 milliards est annoncé pour 1985. Il prendra la forme d'une réduction de 10 % de la taxe professionnelle versée par les entreprises (avec un plafonnement à 5 % de leur TVA).

Dernier allégement : l'abandon de la vignette sur le tabac annoncée par le gouvernement peu avant que Bruxelles n'interdise cette mesure. Cet abandon représente un manque à gagner de 7 milliards de F pour les finances de l'État.

La mesure du manque à gagner

Une bonne partie de ces allégements sont compensés par des recettes trouvées ailleurs Ainsi, la suppression du relèvement de 1 % sur la Sécurité sociale est rendu possible grâce à un blocage de 4 % des prestations familiales et des retraites, à un plan drastique d'économies dans la gestion des hôpitaux et à une réduction du remboursement des médicaments.

Une augmentation de la fiscalité sur les carburants et de la taxe téléphonique permet l'allégement de 5 % de la fiscalité directe des particuliers. L'État reprend par ce biais une quinzaine de milliards sur les 29 concédés aux particuliers.

Même effet pour la taxe professionnelle. Le surcoût des mesures téléphoniques et pétrolières pour les entreprises est chiffré à 8 milliards de F. Or, le moins que l'on puisse dire est que le monde patronal ne défile pas d'un même pas derrière la revendication martelée par le CNPF de supprimer cette taxe. À plusieurs reprises, l'Assemblée permanente des chambres de commerce et la Confédération générale des petites et moyennes entreprises interviennent auprès du président de la République qui avait qualifié naguère cette taxe d'« impôt imbécile » pour l'inciter à la plus grande prudence dans la mise en œuvre d'une réforme qui transférerait le prélèvement de la taxe sur la TVA.

Les 3 % du PIB

Ainsi, 16 milliards sont grapillés sur le budget de l'État. S'en réjouit-on ? Pas vraiment. Les économistes font remarquer que ce budget marque le glas de l'ambition de limiter le déficit dans les dépenses publiques à 3 % du PIB en dépit d'une débudgétisation de plus en plus marquée. Or, le seul intérêt de la dette représente 8 % des dépenses publiques. Les chefs d'entreprise regrettent la timidité de l'allégement des charges. Mais les critiques les plus vives viennent des organisations syndicales et des milieux proches de la majorité politique du gouvernement. Et pour deux raisons. D'abord, ce budget ne fait rien pour les 7 millions de Français les plus démunis qui ne paient pas d'impôt direct. En revanche, les mêmes doivent accepter une baisse sensible du pouvoir d'achat des prestations sociales et devront payer les taxes téléphoniques et pétrolières qui ont nourri la baisse de l'impôt sur le revenu. Ensuite, parce que ces allégements se traduisent par une réduction assez nette de la force de frappe de l'État.

Les priorités gouvernementales

Comment, dans ces conditions, faire face aux besoins de l'État ? Le porte-parole de la commission des finances de l'Assemblée nationale, le socialiste Jean-Paul Planchou, s'inquiète, dès la publication de ce projet de loi de finances, de la réduction du « rôle d'impulsion économique et sociale de l'État ». Et il demande : « Jusqu'où peut-on aller dans la voie de la réduction des dépenses sans que ces fonctions de la puissance publique soient sérieusement remises en cause ? »