Ses détracteurs ne voient en lui qu'un opportuniste intelligent ayant su profiter du ras-le-bol antilibéral après seize ans d'administration Trudeau marqués par la crise économique et les querelles constitutionnelles. B. Mulroney, lui, a promis la relance et un cessez-le-feu sur le front de l'unité nationale.

Mais le raz-de-marée conservateur ne peut s'expliquer uniquement par cela. Car le nouveau Premier ministre a réussi un véritable tour de force. D'abord au sein du Parti conservateur, qui fut longtemps un parti d'aristocrates anglophones, protestants, bien nés et bien mariés.

Le soutien québécois

En outre, le conservateur traditionnel au Canada a toujours cordialement rejeté les Québécois. Le rôle historique joué par B. Mulroney au sein de son parti aura été de lui faire comprendre qu'il devait évoluer s'il voulait reconquérir le pouvoir. « Je pars du principe que le Canada est indivisible, dit-il. Mais le Québec est différent, très différent du reste du Canada. Et cette différence prend ses racines dans sa langue et dans sa culture. Voilà pourquoi il est essentiel de préserver et de protéger l'une et l'autre. »

Miracle : ce langage a été entendu et compris partout au Canada anglophone. B. Mulroney est, au xxe siècle, le premier leader du Parti conservateur originaire du Québec. Et son discours de vainqueur, au soir des élections, il en a prononcé toute la première partie en français. Personne, apparemment, n'a crié au scandale, même pas les extrémistes conservateurs qui, en particulier au Manitoba, se sont battus farouchement contre la reconnaissance des droits linguistiques de la minorité francophone de la province.

Deuxième miracle : René Lévesque lui-même, Premier ministre du Québec, et ses amis séparatistes ont réservé le meilleur accueil à des propos pourtant très fédéralistes, très proches de ceux que tenait l'« ennemi » Trudeau. Pas plus que P. Trudeau, en effet, B. Mulroney n'acceptera de négocier avec les Québécois sur la souveraineté de leur province. Pourtant, dans les deux tiers des circonscriptions du Québec, la machine du Parti québécois a fait campagne pour les candidats conservateurs lors des élections du 4 septembre.

L'indépendantisme s'estompe

Le paradoxe n'est qu'apparent. Car l'année 1984 aura été marquée au Québec par un éloignement de plus en plus net de l'idée d'indépendance. La crise économique a entraîné une réévaluation des priorités québécoises. Or, au plus tard au début de 1986, René Lévesque doit tenir les élections provinciales. « Et, avec B. Mulroney, dit un ami du Premier ministre québécois au soir du 4 septembre, R. Lévesque dispose d'un formidable atout. Si le Premier ministre fédéral joue le jeu de la détente avec le Québec, R. Lévesque peut parfaitement laisser doucement mourir l'idée de l'indépendance. » Il remise d'ailleurs officiellement, le 19 novembre, le rêve de souveraineté dans les placards de l'Histoire. « L'indépendance ne doit pas constituer un enjeu au cours des prochaines élections », dit-il. Résultat : cinq de ses ministres démissionnent. Et le parti de R. Lévesque, créé pour faire l'indépendance, s'enfonce dans une profonde crise d'identité. Le Québec a-t-il fini de rêver ?

Reprise : le souffle court

Dans la foulée des États-Unis, mais plus timidement que son grand voisin, le Canada poursuit l'expansion entamée en 1983. Le PNB qui avait augmenté de 3 % continue de progresser (+ 4,2 %). Les estimations pour 1985 font état d'une progression de 2,3 %. Sans doute aussi les exportations ont augmenté de 20 %, dégageant un surplus de 200 millions de dollars dans la balance des comptes courants. Et l'inflation est restée inférieure à 5 %. Cependant, pour 1985, l'OCDE estime que la reprise va se ralentir.

Les experts attendent une légère accélération des prix pour 1985 (5,5 %), mais une relative stabilité du chômage, autour de 11 % de la population active. Cependant, le dollar canadien, qui, traditionnellement, vaut 82,85 cents américains, reste à 76,77 cents, un niveau qui demeure relativement bas.