La première moitié du mandat Reagan avait été catastrophique pour les Américains : près de 12 % de chômeurs ; un marasme général, qui affectait surtout les vieilles industries de main-d'œuvre comme l'automobile, la construction, l'acier, le caoutchouc.

Au début de 84, la reprise se poursuit à un rythme soutenu. Au printemps, le chômage tombe à 7,4 %, la production industrielle s'est accrue de 20 % par rapport à l'année précédente, l'inflation atteint, avec 5,6 %, son taux le plus bas depuis dix ans. À l'automne, elle dépassera à peine 4 %.

Banques : des craquements

Mais le système bancaire commence à être affecté de hoquets inquiétants. En mai, la Continental Illinois de Chicago, septième banque du pays, est au bord du krach : elle a prêté, deux ans auparavant, 2 milliards de dollars à une petite banque de l'Oklahoma, la Penn Square, auprès de laquelle plusieurs petites exploitations pétrolières du sud des États-Unis sont lourdement endettées. Avec la hausse des taux d'intérêt et la chute des prix du pétrole, elles font faillite et laissent, à la Continental Illinois, plus de 2 milliards de créances impayées.

Dans le même temps, le dollar montre des signes de faiblesse nouvelle : les bruits de krach bancaire ont incité certains investisseurs étrangers à retirer leurs fonds des États-Unis. Le moulin à rumeurs se met en marche pour rassurer le public, et on chuchote dans les milieux compétents que l'affaire de Chicago est due à la malveillance de concurrents de mauvaise foi... Mais, fin mai, c'est la quatrième banque des États-Unis, la Manufacturer's Hanover, qui risque la faillite : les quatre pays d'Amérique latine les plus endettés — le Mexique, l'Argentine, le Brésil et la Colombie — lui doivent 6,5 milliards de dollars. Ils ne peuvent pas faire face à leurs échéances. Le moulin à rumeurs repart de plus belle, et les actions de la Manufacturer's tombent de 11 % en une seule journée. Tout rentre tant bien que mal dans l'ordre, et de nombreux « gourous » de Wall Street s'appliquent à convaincre le public qu'un krach général, style 1929, est aujourd'hui impossible. Les taux d'intérêt sont de nouveau à la hausse, et le dollar, qui était tombé au-dessous de 8 francs en mars, remonte à toute allure. En mai, aussi, Martin Feldstein, l'un des principaux conseillers économiques de l'administration Reagan, fatigué de jouer les Cassandre et d'expliquer qu'un déficit budgétaire de 200 milliards de dollars, qui continue de se creuser, risque d'amener une catastrophe financière, retourne enseigner à Harvard.

Pauvreté persistante

Il y a toujours prés de 8 millions d'Américains au chômage, et, si 4 millions d'emplois ont été effectivement créés depuis un an, la moitié sont des « jobs » du secteur tertiaire très peu qualifiés et mal payés. Au début de l'été, les statistiques officielles indiquent que 34,5 millions d'Américains sont officiellement catalogués comme « pauvres » (moins de 10 000 dollars de revenus par an pour une famille de quatre personnes). Une grande majorité de ces pauvres appartiennent aux minorités ethniques de couleur. Leur situation est d'autant plus dramatique que ce domaine social reste le parent pauvre de l'administration Reagan, qui s'en tient à sa philosophie générale : faites-moi de la bonne finance et je vous ferai une bonne société.

Les mal-lotis

L'approche des élections incite les reaganiens à relancer une nouvelle offensive contre la libéralisation de l'avortement. Il ne s'agit évidemment pas de l'interdire, mais de supprimer le remboursement de l'intervention par l'État fédéral, ce qui revient à la rendre impossible pour les femmes des milieux défavorisés, autrement dit celles qui en ont justement le plus besoin.

Entraînés par les républicains les plus conservateurs, qui voient là une occasion de contrer la catholique pratiquante qu'est Mme Ferraro, colistière de W. Mondale, les évêques américains condamnent l'interruption de grossesse dans des termes extrêmement sévères. À la Conférence internationale sur la population, qui a lieu pendant l'été à Mexico, le gouvernement américain annonce qu'il retirera ses subsides aux gouvernements des pays qui favorisent l'avortement. Une façon adroite de se concilier les électeurs américains respectueux des consignes du Vatican, en particulier la très nombreuse communauté d'origine italienne ou latino-américaine, mais aussi un moyen d'étrangler un peu plus les pays surpeuplés du tiers monde.