Journal de l'année Édition 1985 1985Éd. 1985

Cette réforme permettra peut-être de ramener à des proportions plus raisonnables le taux d'occupation des prisons particulièrement élevé.

Il approche 300 % dans certains établissements et, globalement, la surpopulation est demeurée une constante de la vie carcérale française avec près de 42 000 personnes enfermées à des titres divers, le plus souvent pour des petits délits ou en attente de leur jugement, alors que le nombre de places s'élève à peine à 28 000.

Cette réalité entraîne en outre une promiscuité préjudiciable à la société tout entière et explique en partie les difficultés rencontrées dans l'application de nécessaires réformes, comme l'indique la grogne des gardiens de prison, qui a suivi, sans qu'il faille nécessairement y voir un lien de cause à effet, celle des détenus.

La grève de la faim des mois de septembre et d'octobre avait commencé à l'initiative de cinq détenus proches du groupe terroriste Action directe et sur des bases essentiellement politiques. Elle a rallié jusqu'à six cents hommes et femmes, se plaçant alors sur un terrain strictement humanitaire : il était question, avant toute autre chose, de droit de visite, de parloirs libres et, plus généralement, de conditions de détention.

Mais comment améliorer ces dernières quand l'espace et le personnel pénitentiaire font défaut ?

La nouvelle loi sur la détention provisoire contribuera sans doute à une amélioration. Elle n'est pas neutre non plus s'agissant des principes de notre droit. Et on retrouve ici le concept de liberté. Il faut, en effet, savoir que la pratique en vigueur jusque-là est en contradiction flagrante avec la présomption d'innocence. Celle-ci voudrait qu'un prévenu reste libre tant que n'est pas démontrée sa culpabilité. Celle-là, au contraire, permet de l'enfermer alors que ses méfaits restent à prouver. À cet égard, un changement de procédure, effectif au 1er janvier 1985, marquera la fin d'une époque.

Droit d'asile

En dépit de ce progrès, cette année ne saurait prétendre au titre d'année des libertés. D'abord parce que beaucoup avait déjà été fait depuis 1981. Ensuite, en raison du changement d'attitude du gouvernement de gauche vis-à-vis des autonomistes basques espagnols.

Le mouvement avait été amorcé dès le 10 novembre 1982. Robert Badinter s'était alors employé à définir en Conseil des ministres des critères d'extradition. Celle-ci serait impossible, avait-il dit, lorsque seraient commis « dans une démocratie des actes criminels de nature telle que la fin politique alléguée ne saurait justifier les moyens utilisés ». Ce discours laissait présager les assignations à résidence au nord de la Loire, puis les expulsions vers des pays tiers de quelques « etatas ». Jusqu'au passage du gué, le 26 septembre 1984. Ce jour-là, Paris a partiellement accédé à la demande espagnole. Sur les sept Basques que lui réclamait Madrid, la France lui en a refusé quatre, expulsés vers des terres lointaines. Les trois autres ont été conduits de l'autre côté des Pyrénées. Ils étaient responsables, à des titres divers, de la mort de sept gardes civils.

La gravité des faits, les garanties obtenues par la France — remise des trois hommes à la justice et non à la police —, le fait d'avoir attendu pour passer à l'acte la décision du Conseil d'État, alors que le recours devant cette instance n'est pas suspensif, aucune de ces précautions n'a permis au gouvernement français de convaincre tout à fait l'opinion. Pour une large part de son électorat, et au sein même du parti socialiste, cette triple extradition est apparue comme la trahison. Et elle n'a même pas suscité l'approbation de l'opposition.

La portée internationale de cette affaire n'était évidemment pas négligeable. La plupart des commentateurs l'ont dit et écrit : il en allait de l'avenir des relations franco-espagnoles. Mais, du strict point de vue de la politique intérieure, elle restera sans doute inscrite au chapitre du recentrage, symbolisé par l'arrivée de Laurent Fabius à Matignon. Pour autant, la « terre des libertés » n'a pas perdu son âme. Si Amnesty International fait part de quelque inquiétude sur la France, il suffit de parcourir son rapport annuel pour s'apercevoir que ces craintes sont sans commune mesure avec celles provoquées par des pays tels que l'Iran ou le Salvador. Et, sans recourir à des comparaisons aussi tranchées — dont se garde bien l'organisation militante des droits de l'homme —, la France figure tout de même, à quelques bavures près, dans le peloton de tête des démocraties.

Alexandre Boussageon

Chronique judiciaire

La justice a un œil sur tout et tous. Sur les braves gens comme sur les malfaiteurs ; sur les vivants, voire les êtres en devenir, comme sur les morts. Et même sur les siens.