Le 17 juillet, cependant, le gros camion soviétique qui quitte Genève pour prendre la route de Moscou dégage des fumées d'une autre espèce. Il vient de provoquer un incident diplomatique plutôt bouffon. Arrivé trois jours auparavant d'URSS, il devait décharger son contenu dans les locaux de la mission soviétique auprès des Nations unies. Quel contenu ? « Secret », ont dit en substance le chauffeur et ses accompagnants aux douaniers helvétiques trop curieux. « D'ailleurs, ont-ils ajouté, ce camion est une valise diplomatique. Vous n'avez pas le droit de l'ouvrir. » La drôle de valise est arrivée jusqu'à Genève, mais, comme Berne insistait pour comprendre, Moscou l'a fait revenir avec son chargement : on ne saura jamais de façon certaine s'il s'agissait d'un arsenal électronique ou d'une provision de vodka.

Le 29 août, le conseiller fédéral Rudolf Friedrich, chef du département de Justice et Police, jette l'éponge. Cet homme de 61 ans, d'allure ascétique, célibataire, laconique, bourreau de travail, n'occupait son siège que depuis 20 mois. Sa santé le trahit. Sa démission ouvre immédiatement une course à la succession très passionnée : après l'échec de Lilian Uchtenhagen, sera-ce enfin le tour d'une femme ?

Pro- et anti-nucléaire

Le 13 septembre, le Conseil fédéral met les limitations de vitesse à son ordre du jour. Le pays retient son souffle, mais la décision qui tombe est un laborieux compromis. Sur les autoroutes, le plafond de 130 km/h est ramené à 120 : différence imperceptible et, surtout, incontrôlable. Sur les routes ordinaires, il est abaissé de 100 à 80 km/h, certains tronçons rectilignes faisant exception. Les automobilistes ne seront pas beaucoup plus bridés, ni les arbres moins malades. Parallèlement, une campagne politique d'une exceptionnelle vivacité parvient à son terme. Une seconde fois (la première remonte à 1979), les adversaires des producteurs d'électricité nucléaire demandent au peuple suisse de leur donner raison. Deux initiatives constitutionnelles, en fait, sont soumises aux citoyens. La première interdirait la construction de toute nouvelle centrale nucléaire. La seconde prévoit des solutions de remplacement. Ses auteurs esquissent d'abord les moyens de réaliser de draconiennes économies de courant par une meilleure isolation thermique des bâtiments et par des tarifs propres à décourager le gaspillage. Ils veulent rendre obligatoires les recherches appliquées sur les énergies renouvelables ; et, pour financer ce programme, ils souhaitent que l'État prélève des taxes, d'une part, sur l'utilisation des combustibles fossiles et, d'autre part, sur l'électricité d'origine nucléaire et hydraulique.

Femmes au sommet

C'est donc un virage historique, un « choix de société » que devrait opérer le pays. Contre l'avis des milieux industriels, et notamment des marchands d'électricité, qui évoquent la sombre perspective d'un suicide économique. Avec l'appui des écologistes, des citoyens qu'effraie le rayonnement millénaire des déchets radioactifs et, massivement, des Bâlois qui sont décidés à ne pas permettre la construction dans leurs parages de la future centrale de Kaiseraugst.

Le 23 septembre, un double « non » sort des urnes. Il est net sans être écrasant. L'initiative antinucléaire se voit opposer 55 % des suffrages exprimés, l'initiative énergétique 54 %. Les minorités acceptantes se situent le long de l'arc jurassien : Genève, Vaud, Neuchâtel, Jura et, naturellement, les deux Bâle ; plus, de l'autre côté du pays, le Tessin. À vrai dire, les chiffres traduisent un net affaiblissement de la résistance contre l'atome. Mais c'est désormais sur le plan local — chaque fois que devra s'ouvrir le chantier d'une centrale ou d'un entrepôt de déchets — qu'il faudra craindre des affrontements.

Le 2 octobre, l'Assemblée fédérale élit le successeur du conseiller fédéral Rudolf Friedrich. En lice, deux candidats entre lesquels leur propre groupe, les radicaux, n'a pas réussi lui-même à choisir : l'Argovien Bruno Hunziker et la Zurichoise Elisabeth Kopp. En faveur du premier joue sa carrière de magistrat cantonal et de capitaine d'industrie. Jusqu'au dernier instant, il paraît favori. Et par 124 voix contre 95, c'est Elisabeth Kopp qui gagne. Une ovation la salue. Treize ans après l'introduction du suffrage féminin, la Suisse a donc envoyé deux femmes au sommet. La première guide de montagne diplômée. Et la première conseillère fédérale.